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En parlant ici même[1] de Lassalle et de Marx, nous avons esquissé le développement des idées socialistes en Allemagne ; nous n’avons donc pas à y revenir. Le mouvement était trop autonome et trop puissant pour obéir à l’action d’une association qui n’avait dans le pays ni son siège ni ses racines. Beaucoup de sociétés ouvrières envoyèrent à l’Internationale des vœux et même des adhésions, mais elles n’en reçurent ni doctrines ni mot d’ordre.

Pour l’Amérique il en est autrement. L’introduction et le progrès du socialisme militant y est dû en grande partie à l’Internationale. Depuis longtemps différens systèmes d’organisation sociale y avaient été essayés, les uns sortant des sectes protestantes, comme les mormons et les communistes d’Oneida, les autres des sectes françaises de 1848, comme les icariens de Cabet et les phalanstériens de Considérant. Mais ces tentatives de réforme visaient à donner l’exemple d’un ordre social plus équitable et non à organiser la lutte du travail contre le capital. Ce fut là ce que fit l’Internationale. Des Trade-Unions s’étaient établies dans les différens métiers. Au mois d’août 1866, soixante-six délégués des uni ins se réunirent en congrès à Baltimore[2]. On résolut qu’il fallait affranchir les ouvriers de « l’esclavage du salaire. » Bientôt une fédération générale des sociétés ouvrières se constitua sous le nom de National Labour-Union. Elle entra en relations avec le conseil général de l’Internationale et envoya des délégués à ses congrès. Les émigrans allemands, imbus des idées de Lassalle et de Marx, les répandirent dans tous les états de l’Union. Un Badois fonda à San-Francisco, dès 1868, une section de l’Internationale qui y publia un journal, l’Abendpost. — D’autres Allemands créèrent des sections à Chicago dont l’organe fut : Der deutsche Arbeiter. La National Labour-Union, qui comptait alors plus de huit cent mille membres, dans son cinquième congrès, tenu à Cincinnati, le 15 avril 1870, déclara adopter les principes de l’International La fédération américaine des sections de l’Internationale se réunit aussi en congrès à Philadelphie du 11 au 12 avril 1874. Elle déclara se rallier aux résolutions de La Haye et proposa un congrès universel à réunir en 1875. Mais il n’eut pas lieu. Des grèves malheureuses, l’intensité de la crise industrielle et surtout les dissensions personnelles entre les meneurs amenèrent une décadence rapide. Le conseil général qui, d’après la décision du congrès de La Haye, avait fixé son siège à New-York, n’y exerça

  1. Voyez la Revue du 1er  septembre et du 15 novembre 1876.
  2. Pour l’histoire de l’Internationale le meilleur livre à consulter est sans contredit Der Emancipations-Kampf des vierten Standes, de Rudolph Meyer, socialiste conservateur et bismarkien. L’œuvre est mal proportionnée, mais elle contient une masse considérable de faits rassemblés avec une patience vraiment remarquable.