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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/593

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en lui cette union que je ne puis mieux en faire comprendre l’intime énergie qu’en disant qu’il ressentait et poursuivait toute impiété philosophique comme un acte antilibéral et toute doctrine chrétienne illibérale comme une impiété.

Cette double préoccupation qui a été le tourment de sa vie entière et se manifesta dès sa première jeunesse le sacrait d’avance écrivain ; cependant il hésita quelque temps avant de faire choix d’une carrière. Au sortir du collège où il avait fait les plus brillantes études, nous le voyons entre les années 1337-1840 prendre à la fois ses grades de licencié ès-lettres et de licencié en droit, indécis qu’il était encore entre la magistrature et le professorat. En tout cas, il n’y eut à aucun moment hésitation sur les idées qu’il était décidé à servir; nous en avons pour preuve son œuvre de début, un long poème intitulé Béatrice, où il a déposé les nobles rêves de sa jeunesse. Ce poème, publié en 1840, est peu connu aujourd’hui, bien qu’à l’origine il n’ait pas passé inaperçu. Dans la page de critique la plus remarquable qu’il ait jamais écrite, cette brillante charge à toute outrance qu’il exécuta ici même contre la Divine Épopée d’Alexandre Soumet, Théophile Gautier mentionna Béatrice avec éloges en l’opposant aux conceptions mystiques mal venues de l’auteur à Saül. Par la nature de son sujet, l’œuvre n’était pas de celles qui sont faites pour retentir et fut bientôt oubliée; mais nous oserons dire qu’elle est indispensable à quiconque veut écrire sur Saint-René Taillandier, car elle nous initie d’une manière si complète à sa vie morale d’alors qu’elle a pour nous la valeur d’un véritable document autobiographique. Nous entrons dans sa chambre de laborieux étudiant, nous nous asseyons entre ses amis, dont nous pouvons au moins nommer un avec certitude, tant il est reconnaissable, l’infortuné Alexandre Thomas, si différent de lui par le caractère et les tendances ; nous lisons les titres des livres favoris jetés sur sa table de travail, livres de foi et livres de doutes, Dante et Goethe, les poésies franciscaines et les poètes de la Souabe, les mystiques du moyen âge et les doctrines de la moderne Allemagne; nous surprenons sur le fait l’action des influences contemporaines préférées de son jeune esprit. La principale de ces influences, celle d’Edgard Quinet, à qui le poème est dédié, fut sur Saint-René Taillandier des plus considérables et des plus persistantes, ce qui n’étonnera aucun de ceux qui ont suivi ses travaux avec attention. Assurément ce n’était ni une philosophie bien précise, ni une doctrine religieuse bien établie que Quinet pouvait lui donner; mais il trouvait chez lui nombre de séductions qui répondaient bien mieux à l’état d’âme qu’il traversait que le plus logique des systèmes, de nobles aspirations, d’éloquentes inquiétudes, une foi vibrante dans les destinées futures