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Nous voici tout à l’heure au terme de notre tâche, et le lecteur n’aura pas manqué de remarquer le peu de place que la partie biographique occupe dans ces pages; c’est que Saint-René Taillandier n’a pas d’autre histoire que celle même de ses travaux. Quelques dates suffisent à raconter cette vie, dont Montpellier, où il a séjourné si longtemps, a eu le meilleur. Dans quelques pages touchantes consacrées au comte Teleki, il nous a décrit avec agrément la retraite studieuse et tranquille qu’il occupait dans cette ville et où plus d’un visiteur intéressant venait frapper. « Un jour ce fut le chantre des traditions celtiques, l’auteur de Marie et des Bretons qui vint y mourir dans mes bras ; un autre jour c’était Maurice Hartmann, le poète aimable, le romancier touchant, l’éloquent orateur du parlement de Francfort à peine échappé aux vengeances de la réaction autrichienne. D’autres fois c’était le bon Joseph Roumanille avec cette fleur de poésie qu’il venait de retrouver dans les sentiers des Alpines, sous les ombrages de Saint-Rémy, non loin du village désormais consacré où grandissait en plein soleil le chantre de Mireille et de Calendal. » Ces visites étaient parfois des surprises; de ce nombre fut celle du comte Ladislas Teleki, destiné à une fin si tragique. Saint-René Taillandier devint son ami, traduisit avec lui celles des poésies de Petœfi Sandor qu’il voulait présenter aux lecteurs de la Revue, et le défendit ici même avec cette vivacité généreuse qui était dans sa nature, lorsque le comte arrêté à Dresde fut livré à la police autrichienne par M. de Beust, alors chef du cabinet saxon, en 1860. Plus nombreux que les visiteurs étaient les correspondans que lui valaient ses travaux, et Saint-René Taillandier, qui était justement fier de ces témoignages de considération, en avait soigneusement conservé les plus précieux. Tantôt c’était M. Gladstone qui le félicitait de son travail sur la guerre du Caucase, tantôt M. Cousin qui, avec l’accent qu’on lui connaissait, le remerciait de lui avoir révélé Dante, tantôt M. Guizot, qui, au sortir de la lecture de Maurice de Saxe, lui écrivait qu’il avait été instruit et charmé. Si, à ces bonnes fortunes que valait à l’écrivain son talent littéraire, vous ajoutez les sympathies d’un auditoire constamment fidèle, vous comprendrez que ce long séjour à Montpellier n’ait pas été un temps d’exil, et que Paris seul ait pu rompre le charme et l’habitude de cette ville où le retenaient tant de souvenirs. En 1863, la faculté des lettres de Paris l’appela à venir remplir à la Sorbonne la suppléance de M. Saint-Marc Girardin, et cinq ans après, en 1868, la retraite de M. Nisard et la mort de son successeur immédiat, M. Gandar, ayant laissé libre la chaire d’éloquence française, il en fut nommé, par M. Duruy, professeur titulaire. Peu mêlé aux luttes politiques et sans autres ambitions que celle