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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/67

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demi sauvages, où chacun ne porte que son épée et son bouclier, qui avaient suivi le héros carthaginois, c’était une armée régulière, composée de soldats habitués au bien-être des pays civilisés, traînant à sa suite un immense attirail et même une quarantaine d’éléphans. D’autre part, Hannibal s’était lancé à peu près dans l’inconnu. L’orographie des Alpes était ignorée, les Romains n’avaient pas encore osé y pénétrer. En fait de routes, il n’y avait que des sentiers de chèvres. Entre les Pyrénées et les Alpes vivaient des populations nombreuses, belliqueuses, encore barbares, soupçonneuses, susceptibles, vite effarouchées. Le Rhône était sur la route, barrière effrayante et dont aucun pont ne joignait les rives. Hannibal, le chef prévoyant et calculateur par excellence, avait mesuré à distance, pour ainsi dire spéculativement, tous ces obstacles, et il était parti sûr de les vaincre. Rien qu’il en eût rencontré chemin faisant qu’il ne pouvait prévoir, il n’en avait pas moins rejoint sur les bords du Pô les légions stupéfaites, découragées par cette audace, qui semblait surnaturelle. Plus tard, et en comparaison, d’autres expéditions pourtant pénibles firent l’effet d’un jeu.

Les historiens de l’antiquité ont parlé en détail de ce passage à travers la Gaule et les Alpes qui avait si fortement frappé les imaginations. Nous en connaissons les principales péripéties. Rien pourtant n’est plus difficile que de reconstituer avec bonnes preuves à l’appui l’itinéraire d’Hannibal. Nous aurons lieu de voir combien les historiens modernes sont divisés sur la question des emplacemens qu’il convient d’assigner aux incidens les plus notables de ce fameux passage. Nous inclinons toutefois à penser que le jour commence à se faire, et qu’à force de recherches et de combinaisons on peut indiquer à peu près exactement les étapes successives de l’illustre capitaine.

L’un des ouvrages qui répandent le plus de lumière sur ces obscurs problèmes, c’est la biographie détaillée d’Hannibal, à laquelle travaille depuis plus de dix ans le commandant Hennebert, l’un de nos officiers les plus instruits et les plus laborieux. Son Histoire d’Hannibal, qu’il étudie avec la persévérance d’un érudit passionné pour son sujet et la compétence d’un soldat de profession, compte déjà deux forts volumes et n’en est encore qu’à la bataille de la Trebbie; c’est assez dire qu’elle est détaillée, bourrée de tous les renseignemens possibles. Peut-être aurait-il pu sans dommage resserrer un peu ses récits. Une conscience scrupuleuse des devoirs de l’historien lui a peut-être fait oublier les inconvéniens d’une histoire où tout est pesé, discuté, commenté, où les solutions sur chaque point de détail sont pour ainsi dire mises en batterie et flanquées de redoutables retranchemens sous forme de citations en