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Qui rêve en regardant mourir sa forme blanche
Dans l’eau pâle où descend le mystère du soir.


Avec ces simples élémens : un coin de ciel, une fontaine, un bout de végétation, il a encadré la grâce et la blancheur de ce corps qui se penche, et entre le ciel bleu, les chairs nacrées et moites, et les buissons roussâtres, il a mis ces accords délicats des choses qui aiment à être ensemble, et composé ainsi une de ces mélodies simples et poétiques qui restent gravées dans toutes les mémoires. Et pourtant n’aurait-elle pas quelque droit d’être un peu jalouse, cette déesse ? Voici, à deux pas de là, une mortelle, moins que cela, une enfant, peut-être quelque modèle que vous avez rencontré par les rues et que, sa séance terminée, le peintre a surpris endormi dans son atelier. Il l’a peinte ainsi assoupie, cette fillette, et, à voir sa paupière close, ses narines délicatement découpées, sa joue en fleur, cette chair transparente sous laquelle circule un sang jeune et généreux, ce souffle léger, tranquille et rythmé qui semble expirer par ses lèvres entr’ouvertes, vous diriez le fin tissu, le doux éclat et le parfum printanier d’une rose de buisson qui vient d’éclore. N’avions-nous pas raison de vous le dire, M. Henner est un charmeur, et ne comprenez-vous pas que cet homme qui pense le pinceau à la main, avec sa sensibilité de peintre toujours en éveil, n’a nul besoin de s’embarrasser en des abstractions où tant d’autres se consument ? Permis à lui de prétendre qu’il n’y a pas de sujet pour l’artiste et qu’il ne lui en faut pas. Ces affirmations radicales, il peut les soutenir, et tant qu’il aura des argumens aussi décisifs à nous opposer, il triomphera facilement de nos protestations. Qu’il ne s’y fie pas trop cependant, ces blanches figures et ce rose visage témoigneraient au besoin contre lui. Ne sont-ce pas là, en effet, de vrais sujets, les meilleurs même, ceux qui de tout temps ont paru les plus dignes d’être proposés à l’art : la jeunesse dans sa fleur et la vie dans sa beauté ?

M. Henner et M. Bonnat, encore dans leur pleine maturité, sont cependant déjà des vétérans de nos expositions, et ils n’y comptent plus leurs succès. C’est une satisfaction pour la critique d’avoir à nommer après eux, presque à côté d’eux, les nouveau-venus et de saluer avec des noms d’hier les espérances de l’avenir. M. Morot est un jeune homme, à peine revenu de Rome, et qu’un grand tableau, les Femmes ambronnes, avait l’an dernier déjà signalé à l’attention du public. Mais, à côté de morceaux excellens, quelques taches et quelques exagérations aussi déparaient cette composition un peu encombrée. M. Morot a fait cette année un pas décisif et révélé avec éclat dans son Bon Samaritain les dons