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Italie même. Rappelons seulement ici que l’un des principaux motifs de cette préférence fut l’espoir de déterminer une grande coalition des peuples asservis ou menacés par les armes romaines contre la terrible cite dont l’ambition prenait des proportions de jour en jour plus effrayantes.

Dès l’an 220, même avant le siège de Sagonte, Hannibal avait envoyé des émissaires en Gaule pour étudier les lieux, les populations, les ressources qu’on pouvait espérer d’en tirer. Ses envoyés avaient avec eux beaucoup d’argent et s’étaient concilié des amitiés tout le long de la route que devait suivre leur chef[1]. On sait avec quelle défiance un peuple encore peu civilisé voit l’étranger pénétrer chez lui, même en ami. Absolument exempt de cette curiosité ou de cette haute ambition qui peut animer ses visiteurs, il les soupçonne toujours d’arrière-pensées dont il a tout à craindre. Il y a lieu de supposer que nos populations gauloises se défiaient presque autant de Carthage que de Rome. Le Carthaginois n’était pas aimé, on le savait commerçant rusé, cupide, peu scrupuleux. Les armées carthaginoises avaient subjugué l’Espagne presque entière, pays habité en grande partie par des Celtes. Une influence très puissante dans la Gaule méridionale, celle de Marseille, jalouse de Carthage, avait lie sa fortune à celle de la cité du Tibre et contrecarrait les négociations qu’Hannibal cherchait à nouer. Cependant, les promesses, les cadeaux, l’argent d’Hannibal ne furent pas distribués en pure perte. Plusieurs chefs gaulois se dirent qu’après tout, puisqu’il payait si bien, il avait droit à être bien servi. Quant au ressentiment probable des Romains, ils n’en avaient cure. Rome avait aussi ses émissaires, qui parlaient bien, mais ne donnaient rien, et nos Gaulois se croyaient complètement à l’abri de ses atteintes. Le siège et la prise de Rome faisaient partie des traditions nationales de la Gaule, et ce souvenir inspirait une sorte de dédain pour les forces romaines. Sans qu’il y eût de rapports suivis, encore moins de solidarité entre la Gaule du midi et la Gaule italienne, ce n’était pas sans un certain déplaisir qu’on avait appris les progrès de la domination romaine aux dépens des pays gaulois de la Circumpadane. Milan (Mediolanum) avait succombé en 222. Les Romains s’installaient en maîtres définitifs de la belle Cisalpine et fondaient leurs colonies de Crémone, de Plaisance, de Vérone. Tout cela, bien que vaguement connu, n’était pas pour prévenir les Gaulois en leur faveur.

  1. Les missions secrètes doivent avoir été très employées par Hannibal. Un de ses agens parvint même à se faufiler dans Rome et y vécut plusieurs années avant d’être découvert.