Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/775

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entendait aussi que les intérêts français fussent respectés ; il ne s’interdisait pas les mesures énergiques de défense et une certaine hardiesse d’action. Il ne confondait pas toutes les questions qui s’agitaient, toutes les causes qui pouvaient tenter la France.

Ainsi, pour l’insurrection polonaise, il avait visiblement pris son parti. Il sentait que la malheureuse Pologne était trop loin, qu’aller à son secours, c’était provoquer une guerre universelle. Il ne pouvait offrir qu’une médiation inutile au milieu du bruit des armes ; il avait du moins le courage de ne pas exciter des espérances auxquelles il ne pouvait répondre. Dans les affaires de Belgique, la question était tout autre. La France avait prouvé son désintéressement en refusant pour un de ses princes la couronne belge, et sa diplomatie restait d’accord avec la diplomatie européenne réunie à Londres pour l’organisation du nouveau royaume; mais le jour où le roi de Hollande menaçait de marcher sur Bruxelles, une armée française de son côté entrait instantanément en Belgique. Dans les affaires italiennes, sans contester absolument le droit de l’Autriche, le chef du cabinet du 13 mars ne l’admettait que jusqu’à un certain degré, et lorsqu’après avoir quitté une première fois les légations, les Autrichiens y rentraient, le drapeau tricolore allait aussitôt flotter sur Ancône. En proclamant le principe de non-intervention comme une sauvegarde pour les peuples, il en mesurait l’application aux intérêts français ; par ce principe, il ne voulait pas offrir un appât ou une promesse à toutes les insurrections : il réservait l’action de la France. A la modération faite pour désarmer les défiances de l’Europe il alliait la fermeté, s’attachant à tenir en respect les puissances absolutistes, recherchant l’alliance libérale de l’Angleterre, faisant de son caractère même une garantie de la paix. Et cette politique qui confondait la paix extérieure et l’ordre intérieur, il la poursuivait à travers toutes les difficultés; il la conduisait avec une sorte d’héroïsme, sachant faire la part des nécessités et livrer l’hérédité de la pairie qu’il ne pouvait plus sauver, mais inflexible avec les agitations et les agitateur?, tenant tête tout à la fois aux troubles vendéens, à une insurrection lyonnaise, aux émeutes de Paris, aux attaques parlementaires des Mauguin, des Lamarque, des Lafayette, gouvernant par l’action et aussi par la parole au grand jour. En moins d’une année, il avait réussi à faire de cette politique une tradition, à dégager la monarchie de juillet de ses périls et de ses incohérences, à rallier l’opinion autour de ce qu’il avait le droit d’appeler un « système national. »

Cette fondation d’un gouvernement n’était pas d’ailleurs l’œuvre d’un seul homme, et elle n’avait même un si sérieux caractère, elle n’avait des chances de durée que parce qu’elle n’était pas une œuvre