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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/777

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à entrer librement dans l’action, à servir la politique nouvelle qu’il voyait poindre, dont ses instincts de gouvernement lui révélaient la nécessité. Tout ne lui avait pas été facile. Pour ses débuts de tribune, il avait eu à vaincre les désavantages de sa petite taille, d’un organe débile et aigu, de son accent méridional, de l’inexpérience des assemblées; mais il n’avait pas tardé à tout surmonter par l’éclat d’un talent qui grandissait à vue d’œil au feu des discussions, et bientôt avec M. Dupin, avec M. Guizot, il était un des premiers orateurs parlementaires, un orateur qui avait déjà sa manière à lui, sensée et familière, abondante et hardie. Fils de la révolution de 1830, plus que tout autre il avait le droit de le dire, décidé à fixer cette révolution dans la monarchie constitutionnelle, il concourait avec une verve infatigable à cette œuvre de défense et de fondation entreprise par un ministre d’une raison intrépide. Il défendait le gouvernement dans ses idées, dans ses actes, dans son administration financière, dans sa politique intérieure et dans sa politique extérieure, dans ses luttes pour l’ordre et pour la paix. Il ne défendait pas seulement la politique de Casimir Perier, il la vulgarisait, il l’éclairait d’une vive et lumineuse éloquence.

Lorsque l’opposition, dans ses ardeurs imprévoyantes, accusait sans cesse le ministère d’enchaîner le mouvement, de ménager les « carlistes» dans un intérêt de réaction, de n’avoir de rigueurs et de répressions que contre son propre parti, le parti de la révolution de juillet, M. Thiers relevait impétueusement ces griefs; il répondait par une de ces vérités de la politique et de l’histoire qui ont toujours leur application. « Comment, disait-il un jour, comment ont péri les gouvernemens auxquels le gouvernement de juillet a été substitué? Comment la révolution de 1789 a-t-elle fini ? est-ce par les agressions réunies contre elle? Non, elle a succombé sous ses propres excès. Le gouvernement impérial, comment a-t-il vu s’éteindre son immense gloire? il a abusé de lui-même, il s’est suicidé! Enfin, la restauration, est-ce une de nos conspirations qui l’a détruite? Non, elle s’est tuée en violant volontairement les lois du pays. De ce que le gouvernement s’est montré plus soigneux de contenir son parti que tout autre, il en résulte qu’il connaissait à la fois sa position, l’histoire et la politique... » Lorsque les tribuns du parlement, le général Lafayette, le général Lamarque, Mauguin, même M. Odilon Barrot ou M. Bignon, s’efforçaient d’entraîner la France dans la guerre pour la Pologne, pour l’Italie, pour la Belgique, M. Thiers, comme M. Guizot, était auprès de Casimir Perier, combattant pour la paix. Il passait, dans ses discours, la revue de l’Europe, il invoquait toutes les raisons historiques, diplomatiques, militaires et morales ; il montrait que la guerre était presque fatalement la terreur