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Tout à coup de grands cris se font entendre en arrière, des flammes s’élèvent. C’est Iannon qui a pris à revers le camp gaulois, qui y a mis le feu et qui perce vers le fleuve. Les Gaulois se voient cernés, courent à la défense de leur camp déjà occupé, se débandent, sont poursuivis, talonnés par les Carthaginois qui débarquent en nombre toujours plus grand ; bientôt ils n’ont plus d’autre ressource que de s’enfuir sur les hauteurs. Hannibal prend possession de la rive gauche et y passe la nuit. Le lendemain il fit traverser les éléphans par d’ingénieux moyens que Polybe a racontés avec détail.

Les Carthaginois firent deux grands radeaux qu’ils accouplèrent et amarrèrent solidement sur la rive droite. Puis ils en ajoutèrent d’autres qui furent reliés par des câbles aux arbres de la rive gauche. Ils jetèrent de la terre et des broussailles sur les troncs d’arbres, de manière à leur donner l’apparence de la terre ferme. Deux éléphans femelles furent amenés sur cette chaussée flottante ; les mâles suivirent. En plusieurs opérations du même genre, toute la division d’éléphans passa. Quelques-uns de ces animaux affolés se précipitèrent dans l’eau ; mais l’éléphant sait nager en tenant sa trompe hors de l’eau, et il aime à suivre le troupeau. Tous arrivèrent sur l’autre rive. Hannibal pouvait enfin partir. Il était temps.

En effet, par des causes mal connues, mais que nous avons pu conjecturer, son armée était notablement réduite. Elle ne comptait plus que Art, 000 hommes. Elle en avait donc déjà perdu 12, 000 depuis les Pyrénées. Nous persistons à penser que la désertion surtout dut éclaircir les rangs, et peut-être que la vue du Rhône, toujours effrayant par la masse et la rapidité de ses eaux, les cris forcenés des Gaulois, la perspective d’un combat sanglant et douteux, peut-être que tout cela avait semé le découragement.

De plus on venait d’apprendre que le Romain n’était pas loin. Dès la première nouvelle, Hannibal avait envoyé en reconnaissance un détachement de cavalerie numide qui descendit la rive gauche en se rapprochant de la Durance. Ce parti numide tomba sur un détachement de cavalerie romaine que Publius Scipion avait aussi envoyé pour explorer la contrée, en lui adjoignant des auxiliaires gaulois et marseillais qui la connaissaient bien. Il s’ensuivit un engagement très vif, où les Romains perdirent plus de cent trente des leurs. Mais les Numides furent encore plus maltraités et tournèrent bride vers le camp carthaginois pour informer leur général. Celui-ci avisait précisément aux moyens de faire passer ses éléphans. De loin les cavaliers romains, qui avaient poursuivi les Kumides durent croire que le passage du fleuve n’était pas encore