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du 13 mars ou du 11 octobre, du système de Casimir Perier, il voulait qu’on n’ignorât pas que la politique suivie par les ministères successifs, c’était sa politique à lui, son système à lui. Il dépeignait avec plus d’esprit que de sens parlementaire le gouvernement comme un orchestre où chaque ministre devait faire sa partie et où il devait seul rester le chef de l’orchestre. En un mot, il aurait voulu des ministres pour exprimer sa pensée, pour représenter ses volontés, plutôt qu’un ministère existant par lui-même. Déjà l’ascendant de Casimir Perier lui avait pesé plus d’une fois, il le cachait à peine, et, sous le 11 octobre, rencontrant toujours devant lui ce triumvirat de M. de Broglie, M. Thiers, M. Guizot, il disait non sans humeur : « Quand ces trois messieurs sont d’accord, je me trouve neutralisé, je ne puis plus faire prévaloir mon avis. C’est Casimir Perier en trois personnes. » Patient et souple, il savait éviter les chocs quand il le fallait et se soumettre quand il ne pouvait pas faire autrement ; il laissait trop voir qu’il se croyait assez habile pour dominer les hommes, pour les « équiter, » comme il le disait dans un langage un peu vulgaire ou pour les user. Il ne créait pas des embarras à ces ministres supérieurs du 11 octobre qui servaient si puissamment sa cause ; il ne se défendait pas dans ses relations avec eux d’une certaine diplomatie plus propre à les diviser et à les affaiblir qu’à les fortifier, et, chose curieuse ! pour le moment, entre ces hommes, celui qui semblait avoir ses préférences, c’était M. Thiers.

M. Thiers a dit depuis, bien longtemps après, dans la familiarité d’une conversation : « Je ne puis dire que nous nous convenions sous tous les rapports. Cependant nous avions du goût l’un pour l’autre. J’appréciais la finesse du roi, son savoir, sa sagacité et le charme de ses manières. Le roi aimait ma franchise, et peut-être ma pétulance ne lui déplaisait pas. Avec moi il était absolument à son aise ; il n’en était pas de même avec Guizot. » C’était vrai et plein de conséquences imprévues. Le roi, en effet, par sa nature, par ses instincts, par le tour de son esprit, n’avait rien du doctrinaire, et il aimait peu les doctrinaires, — « messieurs les doctrinaires, » comme il disait quelquefois avec une pointe d’ironie. Il appréciait parfaitement le talent, l’éloquence de M. Guizot ; il n’en était pas encore arrivé à s’accommoder aisément du ton dogmatique du professeur ministre, de sa gravité puritaine et même de ses ostentations d’impopularité. Pour le duc de Broglie aussi il avait plus d’estime et de respect que de sympathie. Il se trouvait gêné par la dignité de race déguisée sous l’apparence du doctrinaire, par la fierté simple de ce représentant d’une aristocratie libérale, peut-être aussi par une certaine raideur de diplomate qui l’inquiétait souvent. Avec M. Thiers, le roi Louis-Philippe se sentait bien