arme de guerre, et qu’un instrument de démolition. Rien de plus certain, mais est-il vrai pour cela qu’en concédant des réformes politiques le gouvernement ne ferait que s’affaiblir et fortifier ses ennemis? Loin d’éteindre l’incendie, des libertés nouvelles ne feraient, dit-on, que jeter de l’huile sur le feu. Cette objection si souvent répétée n’est au fond qu’une spécieuse banalité, elle aussi repose sur une méprise, sur un malentendu, pour ne pas dire sur un sophisme. S’il est besoin d’accorder à la nation des franchises politiques, ce n’est nullement pour donner satisfaction aux révolutionnaires. Cette satisfaction, il n’est pas au pouvoir d’un gouvernement de la donner. Ceux qui lui conseilleraient un changement de régime dans un tel dessein seraient les dupes de leur ingénuité. Une constitution ne saurait apaiser ni le nihilisme, ni le radicalisme; tout ce qu’elle pourrait faire serait de donner à l’autorité de nouveaux moyens de défense. Aux libertés politiques le gouvernement trouverait un double et triple avantage; elles mettraient au grand jour le petit nombre de ses ennemis, elles leur enlèveraient les sympathies latentes ou les connivences à demi inconscientes qui font leur force; enfin et surtout elles apporteraient au pouvoir le concours effectif de la société et de la nation.
Depuis l’ouverture de la longue série des attentats nihilistes, le gouvernement impérial et l’empereur lui-même ont plus d’une fois adressé un appel solennel à la société, aux classes conservatrices, aux pères de famille, à la noblesse, au peuple, contre les perturbateurs de l’ordre. Près d’une nation légalement muette et inerte, tous ces appels répétés n’ont rencontré qu’un écho mécanique qui renvoyait automatiquement au pouvoir le son même de sa propre voix, sans lui communiquer aucune force. Sous le régime en vigueur il n’en saurait être autrement : à toutes ses instances, à toutes ses demandes de concours, l’autorité ne pouvait obtenir d’autre réponse que de vides et banales protestations de dévoûment, que de pompeuses et insignifiantes adresses officielles, que des mots et des paroles enfin, au lieu d’actes et de faits. A quoi bon rappeler ce qui s’est passé en 1878 et 1879, alors que tous les corps constitués de l’empire, assemblées provinciales, assemblées municipales, assemblées de la noblesse, déposaient aux pieds du souverain, en butte aux plus odieux attentats, le sincère et inutile témoignage de leur affection et de leur dévoûment? Quelques-uns des états provinciaux, les zemstvos de Tchernigof, de Kharkof, de Vladimir entre autres, si je ne me trompe, répondirent respectueusement à l’appel du pouvoir qu’avec les lois en vigueur ils ne sauraient lui venir en aide, qu’avec les liens dont elle était chargée la société était impuissante à prêter à l’autorité aucun concours