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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/836

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gloire de léguer un chef-d’œuvre à la postérité ; mais il savait son métier, mais il a renouvelé les procédés de son art, mais ceux qui l’ont dépassé ne l’ont dépassé qu’en commençant eux-mêmes par l’imiter; et voilà le mot de ces réhabilitations! Elles n’ont jamais été plus utiles ni plus bienfaisantes qu’aujourd’hui. Car, il serait facile de le démontrer, ce que la plupart de nos romanciers savent le moins, quoi qu’ils en disent et quoiqu’ils veuillent nous en imposer, ne vous y trompez pas, c’est leur métier. Flaubert savait le sien, et il le savait admirablement. Il ne s’est pas contenté de le savoir, il l’a étendu.

En ce sens, qui est le sens étroit du mot, Flaubert est un maître. Et puisqu’on a si souvent rapproché son nom de celui de Balzac, il est maître à bien plus juste titre que l’auteur de la Comédie humaine. Balzac n’est rien que ce qu’on appelle de nos jours un tempérament, une nature, une force presque inconsciente qui se déploie au hasard, sans règle ni mesure, également capable de produire le Cousin Pons ou Eugénie Grandet et de se dépenser dans des mélodrames judiciaires non moins hideux que puérils, tels que la Dernière Incarnation de Vautrin. Avec cela, l’un des pires écrivains qui jamais aient tourmenté cette pauvre langue française. On prétendit, quand parut Madame Bovary, qu’il y avait là des pages que Balzac eût signées. Certes! s’il avait pu les écrire! Aussi quand Balzac rencontre bien, c’est bien; mais quand il rencontre mal, alors on peut dire vraiment qu’il ne reste rien de Balzac dans Balzac. Le romancier qui se mettrait à l’école de Balzac, je ne vois pas le profit qu’il en pourrait tirer. Ce « maréchal de la littérature » est un triste modèle. Car, là où il est bon, il est inimitable, et là où l’on peut l’imiter, il est franchement détestable. On a voulu imiter de Balzac les Scènes de la vie de province, et cela s’appelle, comme vous savez, les Bourgeois de Molinchart. Mais on a imité sans beaucoup de peine, au hasard des coupures du roman-feuilleton, la Dernière Incarnation de Vautrin, et cela s’appelle, comme vous avez pu le voir un temps sur toutes les murailles de France et de Navarre, le Dernier Mot de Rocambole. Au contraire, on peut se mettre à l’école de Flaubert, parce qu’on peut toujours se mettre à l’école de tout artiste dont l’art est serré, contenu, concentré, maître de soi. Même quand il ne serait pas l’auteur de Madame Bovary, j’ose croire que Flaubert aurait sa place encore dans l’histoire de notre littérature contemporaine. Vous avez entendu vanter l’Éducation sentimentale par-dessus Madame Bovary, et des académiciens ont préféré publiquement le roman de la fille d’Hamilcar à celui de la femme du médecin de Tostes et d’Yonville; ils avaient tort et ils avaient raison. Ils avaient tort, parce que l’Éducation sentimentale