elle succombait sans doute, mais elle succombait d’une autre manière, c’était une vie nouvelle que les circonstances lui imposaient, c’était un autre drame, c’était une autre Madame Bovary.
De cette étude patiente, exacte, approfondie des circonstances et du milieu, la personne se dégageait alors vivante, et par un effet de cette espèce d’attraction qu’une vie plus intense exerce autour de soi, Mme Bovary devenait le centre et le pivot du roman. Pourquoi cela ? tandis que, dans l’Éducation sentimentale, au contraire, où cependant la méthode est la même, où la logique des caractères n’est ni moins finement observée, ni moins rigoureusement suivie, l’intérêt s’éparpille et se divise entre tant de scènes et tant de personnages si divers qu’il finit par s’évanouir, ou pour mieux dire qu’il ne parvient même pas à naître ? Parce qu’il y a dans Madame Bovary quelque chose de vraiment romanesque, c’est-à-dire quelque chose de vraiment digne de nous intéresser, et non-seulement une psychologie subtile, une psychologie profonde, mais une psychologie raffinée, la psychologie d’un tempérament qui, comme on dit, sort de l’ordinaire. Car ce n’est pas assez pour nous intéresser que de nous présenter un miroir de la réalité. Plus il sera fidèle, comme dans l’Éducation sentimentale, et moins nous prendrons plaisir à la vue des images qu’il reflétera. Nous les connaissons. Et toutes les fois que nous y prendrons plaisir, c’est qu’au delà de ce que nous connaissons on nous aura montré quelque chose que nous ne connaissions pas. Rien d’étrange, remarquez-le bien, rien d’idéal, si peut-être ce mot vous choquait, rien qu’on doive soustraire aux plus étroites conditions de la réalité, — ce serait là retourner au romantisme, — mais tout simplement quelque province inexplorée de la nature humaine, et quoi que ce soit de plus fort, ou de plus fin, que le vulgaire. C’est ce qu’il y a dans Emma Bovary. Dans cette nature de femme, à tous autres égards moyenne et même commune, il y a quelque chose d’extrême et de rare, par conséquent, qui est la finesse des sens. Elle est sotte, mal élevée, prétentieuse ; ni tête, ni cœur ; elle est fausse, elle est avide, elle est même par instans froidement et bêtement cruelle ; mais comme les moindres sensations retentissent longuement et profondément en elle ! comme au plus léger contact de la plus légère impression vous la sentez qui vibre tout entière ! Suivez-la, par exemple, au château de la Vaubyessard et voyez-la transportée pour quelques heures dans ce monde qui n’a jamais été ni ne sera le sien, comme elle aspire le luxe, pour ainsi dire, par tous les pores ; comme elle absorbe en entrant dans la salle à manger « cet air chaud qui l’enveloppe, mélange du parfum des fleurs et du beau linge, du fumet des viandes et de l’odeur des truffes ; » comme elle se fond en quelque sorte et