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décrets du 29 mars, qui ne sont qu’un gage donné à des ressentimens de parti et de secte. Après avoir combattu l’amnistie, il va peut-être d’ici à peu être obligé de retourner ses argumens pour la proposer, et s’il n’en prend pas l’initiative, il sera peut-être réduit à la subir. Le ministère tout entier vit ainsi eu cédant, en cédant toujours, en laissant tout faire ou à peu près, et il ne s’aperçoit pas qu’avec un peu de résolution et de fermeté il aurait pu jouer un rôle moins terne, moins ingrat pour lui-même, plus utile certainement pour la république ; il aurait évité de se laisser enfermer dans une situation sans issue où il ne se soutient qu’en paraissant être en alliance et en bonne amitié avec des passions qu’il ne peut ni satisfaire, ni modérer, ni diriger.

Laissons nos affaires intérieures à leur cours. La représentation extérieure de la France a eu, elle aussi, dans ces derniers temps, ses petites révolutions et même ses coups de théâtre. À peine M. Léon Say venait-il d’être nommé ambassadeur en Angleterre, il y a quelques semaines, qu’il était élevé par une élection presque inopinée à la présidence du sénat, et le voilà maintenant remplacé à Londres, d’une façon tout aussi imprévue, par M. Challemel-Lacour, hier encore ambassadeur à Berne. M. Léon Say n’a fait que paraître à Londres ; il n’aura pas du moins passé inutilement. Dans le peu de jours qu’a duré sa mission, il a réussi d’abord à se faire bien venir dans le monde anglais, puisa nouer les premières négociations d’un nouveau traité de commerce. Son successeur réunit-il les conditions traditionnelles d’un plénipotentiaire de la France auprès de la vieille société britannique ? Cette ambassade est peut-être une nouveauté, peut-être aussi une expérience faite pour exciter une certaine curiosité. Ce qui n’est point douteux, c’est que, dans ce rôle nouveau pour lui, M. Challemel-Lacour porte un talent réel et que là où il y a le talent, il y a de la ressource, M. Challemel-Lacour a écrit autrefois ici même de brillantes pages sur M. Gladstone, avec qui il va avoir à traiter, et il connaît assez l’histoire, les traditions, les affaires de l’Angleterre pour savoir ce qu’il y a de difficile, de délicat dans la mission qu’il va remplir. Il a sa position à conquérir, et du premier coup il va se trouver jeté au milieu des négociations engagées au sujet des affaires d’Orient. C’est à lui de montrer qu’un homme de talent peut prendre sa place partout, même dans une des plus vieilles et des plus aristocratiques sociétés de l’Europe.

Ch. de Mazade.