Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mû par des conceptions géométriques ; telle conception, tel mouvement, telle science, telle pratique ; on peut donc, en le voyant marcher, dire sans aucune métaphore : C’est de la géométrie qui marche. Quand nous agissons ainsi sous l’influence de notions toutes scientifiques, les théorèmes et les lois de la science ne font que se continuer dans nos pensées et nos actes : c’est comme un courant mathématique ou mécanique qui nous traverse et, en nous traversant, nous fait mouvoir. La pratique n’est donc que de la théorie en action, et si la théorie est exacte, la pratique le sera.

Aussi, quel a été le moyen de réaliser dans la société une géométrie et une mécanique de plus en plus parfaites, par exemple de nous soumettre les objets extérieurs, de nous faire traverser rapidement l’espace, de nous donner des organes nouveaux par une nouvelle industrie ? — La pratique est sortie de la science, dont elle n’est que le prolongement. Pour faire de la bonne géométrie, la société humaine n’a eu besoin que d’apprendre la géométrie. Le véritable enchanteur, qui transforme toutes choses par une magie naturelle et finit par se transformer, par s’enchanter lui-même, c’est la science. Dans toutes ces actions qui se réduisent à l’application de telle ou telle vérité scientifique, claire ou obscure, nous n’avons point besoin de supposer une volonté distincte de l’intelligence, comme un serviteur prêt à exécuter l’ordre de son maître. Ici l’ordre s’exécute lui-même : l’homme pense, il sent, et l’acte suit.

La sensibilité même peut être considérée comme une conscience plus ou moins confuse des idées qui agissent et luttent en nous. Pascal définissait les passions avec profondeur en les appelant des précipitations de pensées. Ce sont, si l’on veut, des pensées au moins virtuelles qui se meuvent trop vite et en masses trop compactes pour s’apercevoir elles-mêmes : la conscience traversée par elles, comme une eau troublée, perd sa transparence. Sentiment et pensée sont au fond identiques et n’expriment que des degrés divers d’une même réalité.

Tel est le déterminisme qui, selon nous, régit tout ensemble et l’intelligence invisible et ses manifestations visibles sous la forme du mouvement. Nous sommes soumis à ce déterminisme dans tous les actes qui relèvent du désir ou de la pensée, des passions ou des idées. Si tout était pour, nous une affaire de savoir positif, une question de pure science, la science positive nous régirait d’une manière infaillible. Par exemple, si nous n’avions jamais à faire autre chose que des applications de la géométrie, de la mécanique, de la physique, de la biologie, nous n’aurions besoin que de perfectionner notre science pour perfectionner l’application et, encore une fois, nous ne serions que le milieu à travers