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social, the social environment, et de l’équilibre avec ce milieu comme idéal suprême de l’individu. Mais il y a un autre genre d’adaptation qui méritait d’être considéré : c’est l’adaptation de l’individu à lui-même, c’est-à-dire à ses vraies « conditions intérieures d’existence » et de développement. Le maximum de puissance pour l’activité, le maximum de conscience et de connaissance universelle pour l’intelligence, le maximum de jouissance pour la sensibilité, voilà le véritable équilibre intérieur de l’être. Il en résulte que l’individu, comme tel, a déjà un certain idéal auquel il doit s’adapter pour réaliser en sa plénitude son existence propre ; il conçoit cet idéal de puissance, de connaissance et de jouissance, qui n’est que sa nature même parvenue au « terme de son évolution ; » cette conception se réalise peu à peu et produit ainsi ce qu’on peut nommer la finalité intérieure, abstraction faite du milieu physique et social.


IV

Nous venons de voir que la doctrine anglaise a besoin d’être complétée, au point de vue psychologique, par une conception plus large et plus exacte des ressorts de notre nature, motifs ou mobiles ; elle n’a pas moins besoin d’être complétée, au point de vue cosmologique, par une idée plus juste du rôle qui appartient au plaisir dans l’univers. D’ailleurs nous allons voir la morale darwiniste tendre elle-même vers ce point de vue supérieur, vers l’idéalisme, et se montrer ainsi en progrès sur la morale utilitaire dont elle était sortie.

Selon l’idéalisme, le plaisir, en tant que phénomène particulier et personnel, est un fait qui, pour la science, ne s’explique pas par lui-même. Le plaisir, en effet, a une cause, une raison, il est dérivé ; l’intelligence peut concevoir cette cause et cette raison : elle peut donc apprécier tel ou tel plaisir particulier au nom de ce qui, en général, produit et doit produire le plaisir, explique et justifie scientifiquement le plaisir. La jouissance de l’ivrogne, par exemple, est un résultat accidentel de circonstances variables et transitoires, un phénomène que la science peut juger, et qu’elle juge effectivement anormal, bestial, contraire à la nature générale de l’être raisonnable et aux lois cosmologiques de la vie. Au point de vue même de l’esthétique (que l’école anglaise a d’ailleurs le tort de négliger entièrement), le plaisir peut se juger encore ; la science n’a-t-elle pas le droit de prononcer que le plaisir causé par la Vénus hottentote est moins rationnel, le plaisir causé par la Vénus de Milo plus