Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un instinct de migration et de progrès sans limites qui l’oblige, aux dépens même de ses autres affections, à prendre son vol vers la patrie universelle, vers l’immensité. Les combats intérieurs de la conscience, remarque encore Darwin, produisent une lutte pour la vie entre les diverses idées, les diverses tendances, qui sont plus ou moins sociales ou antisociales ; de la sélection naturelle dans le domaine de la conscience ; l’être moral est celui qui finit par agir dans le sens de la société. Pour l’idéaliste, c’est celui qui agit dans le sens du monde. Enfin, selon MM. Spencer et Darwin, le résultat dernier de cette lutte sans cesse renouvelée est l’évolution ou le progrès des sentimens et motifs moraux, qui se résument dans l’altruisme ; — soit, mais le véritable altruisme est peut-être plus que social ; aux yeux de l’idéaliste, il est universel et en quelque sorte mundanus.

L’idéalisme arrive ainsi à une conclusion importante. L’homme est un être original et à part : il a pour caractère : 1° l’unité, dans sa pensée, des lois de l’existence en général et des lois de son existence propre ; 2° l’unité, dans son désir, des moyens du bonheur universel et de son propre bonheur. Être conscient et raisonnable, il tend donc à prendre pour motif des conditions d’existence et de développement qui soient celles du monde même. Les êtres forment une échelle dont l’homme occupe le sommet. Pour l’animal solitaire, les lois les plus élevées sont celles de la vie individuelle ; il ne conçoit pas de motif supérieur ; pour l’animal sociable, ce sont les lois de la vie sociale ; pour l’être pensant, ce sont les lois de la pensée et de la vie même, qui sont sans doute les lois de l’univers. Le vrai terme idéal de l’évolution, comme dit M. Spencer, par conséquent le véritable idéal moral, n’est donc rien moins que la plénitude de l’existence individuelle et universelle, dont la conscience serait la parfaite félicité.

C’est ainsi que peu à peu, en introduisant l’intelligence dans la question morale, — comme sont à la fin obligés de le faire MM. Spencer et Darwin, — on se trouve entraîné à des considérations de plus en plus universelles, qui unissent par toucher à la métaphysique. Tant il est vrai que l’intelligence est comme une force d’expansion qui nous arrache peu à peu au moi pour nous mêler au monde entier : Toti mundo te insere. Mais nous ne voulons point ici faire une plus longue excursion dans le domaine métaphysique et dans les hypothèses sur l’univers, quoique la doctrine de révolution nous y invite elle-même en nous parlant des lois universelles de la vie. Quelles que soient les différences qui peuvent subsister encore, au point de vue métaphysique, entre le naturalisme et l’idéalisme, leur rapprochement sur le terrain de la science