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lui expliquer les motifs de sa conduite et lui prodiguer les assurances de son filial attachement. Cette résolution de Charles II avait été accueillie avec des transports de joie par la population de Madrid. Citoyens et grands seigneurs se portaient en foule au Buen-Retiro, pour féliciter le jeune monarque et lui. offrir selon l’usage de riches présens.

On se demande avec curiosité quelle fut, dans cette révolution de palais, l’attitude du favori. N’ayant pas su ou pu la prévenir, il était condamné à la subir. On l’a accusé d’avoir manqué de résolution. C’est oublier, ce semble, que Valenzuela n’était rien que par le crédit de la reine. Par le fait de se séparer volontairement de sa mère, par le fait surtout d’appeler don Juan, Charles II déclarait ramener à lui le pouvoir qu’il avait délégué jusqu’alors et laissait le favori retomber dans son néant. Celui-ci ne pouvait dès lors commander quoi que ce fût à qui que ce fût. Imaginez Louis XIV majeur se déclarant en faveur du prince de Condé, la veille de l’arrestation de ce dernier. Qu’aurait pu Mazarin ? Qu’aurait-il pu surtout, si Anne d’Autriche avait déclaré approuver la conduite de son fils ? Privé de tout moyen de se défendre, Valenzuela n’avait d’autre ressource que de s’éclipser. Dès le 24 décembre il avait quitté Madrid.

En possession de la lettre du roi, don Juan partit de Saragosse le 1er janvier 1676, non sans avoir fait ses dévotions à Notre-Dame del Pilar. Ce prince offrait un singulier mélange d’ambition et d’hypocrisie. Il n’avait à la bouche que le service de Dieu quand il s’insurgeait contre l’état, et défendait ses trahisons par des argumens de théologien. Il marchait accompagné de deux personnages fort compromis, un Napolitain, le prince de Monte-Sarcho, qui, en débarquant à Barcelone, s’était sauvé auprès de. lui pour échapper aux poursuites d’un procès criminel, et le comte de Monterey. A l’époque de la formation de la maison du roi, ce dernier était accouru en poste de la Flandre où il servait, dans l’espérance d’en faire partie, se fiant aux promesses qu’il avait reçues, et surtout à l’argent qu’il avait donné. N’ayant obtenu que la direction de l’artillerie, depuis exilé, il s’était rallié à don Juan avec le titre de mestre-de-camp-général.

Parvenu à Montréal de Ariza, à peu près à moitié chemin de Saragosse à Madrid, le prince y établit son quartier-général. Ariza était le point de concentration assigné aux quelques troupes fort mal organisées qu’il avait pu réunir en Aragon, et qui, augmentées d’un certain nombre de volontaires catalans et valenciens, formèrent un corps de trois mille fantassins et de mille cavaliers. C’étaient des forces bien médiocres pour lutter contre les ressources de la monarchie espagnole ; mais ce prince prudent avait maintenant