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demandèrent du travail. Les manufacturiers anglais se virent en mesure de fabriquer davantage au moment où leur marché se restreignait par la concurrence.

Aussi bien que les fabricans, les cultivateurs avaient profité de l’isolement que Napoléon avait voulu faire autour des Iles-Britanniques ; obligés de suffire seuls aux besoins d’une population plus nombreuse, ils avaient amélioré leurs instrumens, leurs troupeaux, leurs méthodes de culture. S’ils produisaient plus chèrement, ils vendaient leurs produits à un prix plus élevé ; ils payaient de gros loyers sur la terre sans avoir à s’en plaindre. L’ouverture des ports du continent eut pour premier effet d’abaisser le prix du blé. Il y eut, suivant toute apparence une panique ; les fermiers s’imaginèrent qu’il était impossible de lutter contre la concurrence étrangère ; les baux arrivés à leur terme ne se renouvelèrent pas ; un grand nombre de propriétés restèrent en friche. Du moins, au milieu de la détresse universelle, le pain était à bon marché. L’année 1816 fut bien différente. Humide au printemps, pluvieuse en été, froide à l’automne, elle ne fournit qu’une médiocre récolte. En décembre, le pain coûtait le double de ce qu’il avait coûté au mois de janvier précédent. En même temps, et sans que ces phénomènes économiques aient un lien apparent, l’industrie métallurgique subit une crise telle que la plupart des hauts fourneaux cessèrent de brûler ; comme conséquence, le travail des houillères fut suspendu. Le pain était cher, et d’innombrables ouvriers se trouvèrent sans ouvrage.

Le peuple avait alors trop peu d’instruction pour se rendre compte que cette désastreuse situation n’était pas plus la faute du gouvernement que des patrons. La misère était extrême. À Birmingham, plus d’un tiers de la population recevait l’assistance publique, mais c’était surtout dans les comtés agricoles que la détresse se faisait sentir, au point que, en certaines paroisses, six personnes sur sept vivaient de la taxe des pauvres. Il ne fut plus question dans les journaux que de meurtres, d’incendies, d’émeutes, de pillages des boutiques de bouchers ou de boulangers. Les ouvriers n’étaient pas partout malfaisans. Ceux des houillères imaginèrent de s’atteler à des tombereaux pleins de charbon de terre et de s’en aller ainsi de ville en ville offrir leur marchandise. Les magistrats eurent le bon esprit de faire acheter ce que ces ouvriers nomades apportaient et de les renvoyer contens. La crise fut plus grave dans les villes de manufactures : la populace s’en prit aux métiers, que l’on accusait d’avoir abaissé le taux des salaires. Trente ans auparavant, un pauvre idiot du comté de Leicester, Ned Ludd, avait brisé une machine par jalousie contre ses camarades. Son histoire était restée