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ces spectacles est celui d’une grande et saine nature qui, au courant d’une longue carrière, s’est trouvée aux prises avec toutes les épreuves de la vie et du pouvoir sans se laisser ni atteindre ni déformer dans le tumulte des choses, sans rien perdre de son intégrité première, M. Guizot, comme d’autres de ses contemporains, a pu être l’objet de contestations passionnées pour son œuvre politique, pour ses idées, pour ce qu’il a fait et pour ce qu’il n’a pas fait dans son passage au gouvernement. Ce n’est plus là que du passé ; depuis longtemps le ministre a disparu, il avait disparu dès 1843 pour ne plus reparaître. L’homme même, en M. Guizot, offre un singulier et profond intérêt qui a survécu aux événemens et aux révolutions. Lorsqu’au déclin de l’âge, il y a déjà quelque vingt ans, il écrivait ses Mémoires, il semblait continuer encore un rôle public ; il racontait son temps en historien, avec une certaine sobriété de détails personnels : il ne soulevait qu’à demi, par échappées, le voile sur lui-même. Ses meilleurs, ses plus intéressans mémoires sont peut-être dans ce livre tout récent, — Monsieur Guizot dans sa famille et avec ses amis, qui a été inspiré à Mme de Witt par un sentiment de dévotion filiale, qui est une suite de souvenirs, d’impressions et de lettres tout intimes. Ce n’est pas un homme nouveau qui se révèle dans ces pages, c’est toujours le même homme, mais replacé dans un cadre familier, dans la vie de tous les jours, vu au naturel avec ses goûts, ses mœurs, ses préoccupations, ses habitudes, ses affections, M. Guizot se plaignait un jour, sans amertume d’ailleurs, qu’on s’obstinât à faire de lui « un personnage tragique, solitaire, tendu, qui finira par devenir une espèce de légende, fausse comme toutes les légendes. » Les dehors du doctrinaire, l’accent superbe de l’orateur, ont souvent en effet donné de M. Guizot une idée inexacte. Sous cette apparence rigide, un peu officielle, pourrait-on dire, il y avait une âme généreusement douée, humaine, accessible aux émotions pathétiques et aux tendresses intérieures ; il y avait un homme dans toute l’étendue, dans toute la noblesse du mot. C’est l’intérêt de ce livre, dû à la piété filiale, de montrer cette partie intime, moins connue, d’une grande et retentissante existence.

Ce sévère et puissant athlète de l’arène parlementaire, qui était tout à la fois un historien, un philosophe, un politique, un orateur, avait ses cultes domestiqués auxquels il se sentait invinciblement lié au milieu des luttes les plus ardentes et des agitations d’une vie laborieuse. M. Guizot n’avait pas connu son père, mort victime des fureurs révolutionnaires pendant la terreur. Il n’avait connu que sa mère, qui avait surveillé son éducation, son enfance austère, et dont l’influence avait certainement contribué à développer en lui les plus précieuses qualités du caractère et de l’esprit. Rien de plus touchant que les relations de M. Guizot et de cette mère d’élite qui, après avoir suivi son