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L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

nisme qui existe entre le feld-maréchal et le chancelier n’a jamais été un mystère ; mais ce n’était pas là une considération de nature à arrêter M. de Bismarck ; bien au contraire. L’important pour lui était d’installer, ouvertement et officiellement en Alsace-Lorraine le meilleur gardien du « glacis de l’empire » que le grand état-major pût souhaiter, et de mettre sous la direction ostensible d’un homme connu pour jouir de la pleine confiance de l’empereur une administration qui, dans la réalité, continuerait à n’obéir qu’aux inspirations de la chancellerie. Un de ses premiers soins a été de mettre à côté du feld-maréchal, comme secrétaire intime, son propre fils, le comte Guillaume de Bismarck, et le procès d’Arnim a dévoilé, on se le rappelle, la nature des services que le chancelier attend de ces jeunes conseillers d’ambassade en mission, admis à toute heure du jour dans l’intimité de leur chef. Quant à l’administration proprement dite, il l’a remise aux mains d’un haut personnel entièrement dévoué à ses vues et qu’il a lui-même façonné ; il est sûr que des hommes tels que MM. Herzog, de Puttkammer, de Pommer-Esche et Mayr, chargés de gérer les divers ministères nouvellement institués, sauront toujours opposer, selon les besoins, toute l’inertie bureaucratique qu’il faudra pour neutraliser les élans du bon cœur de M. de Manteuffel. L’épreuve en a été faite dès les premiers mois.

M. de Bismarck est ainsi arrivé à introduire dans l’ensemble du système la dose de frottement voulue pour l’empêcher de fonctionner trop aisément sans lui et pour le laisser toujours libre lui-même d’intervenir à un moment quelconque, suivant que sa propre politique l’exigera. Après les illusions qu’il paraît s’être faites, comme tant d’autres, sur la rapide germanisation de l’Alsace-Lorraine, il semble passer maintenant à l’autre extrême, ses allures primesautières ne s’accommodant point du juste milieu bourgeois ; tout indique que personnellement il ne serait pas fâché que les choses allassent désormais de mal en pis dans le « pays d’empire, » afin de lui fournir un prétexte de faire faire un grand pas de plus à sa politique impériale et prussienne. On n’a pas oublié en Alsace-Lorraine certaine déclaration qu’il fit incidemment, de la façon la plus inattendue, dans la séance du Reichstag du 21 mars 1879, à l’occasion même de la discussion de la loi qui règle l’organisation nouvelle. « La question, a-t-il dit, s’est posée de savoir s’il avait été bon et s’il est avantageux de persister à faire de l’Alsace et de la Lorraine un seul et même pays, ayant une administration commune. Je considère cette question comme ouverte. L’homogénéité de l’ensemble souffre réellement de cette fusion. Il est possible que l’Alsace à elle seule se consolide plus vite et mieux que si l’on continue à lui accoupler l’élément hétérogène lorrain, et il n’y a pas