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reconnaissait ce traité une invention récente, devraient relire ces paroles d’un historien du XIIe siècle, qui connaissait bien les conditions ethnographiques de la péninsule des Balkans à cette époque. Guillaume de Tyr s’exprime en ces termes : « La nation bulgare occupe tout l’espace allant du Danube à Constantinople et à la mer Adriatique. En sorte que tout ce pays ayant une largeur de dix jours de marche et une longueur de trente jours est appelé Bulgarie. » Nous ferons remarquer que ces mots, étant écrits à une époque où la Bulgarie se trouvait sous la domination byzantine, se fondent uniquement sur la position ethnographique de notre race. »

Le mémoire montre ensuite qu’en morcelant la nationalité bulgare, on lui enlève les conditions indispensables pour qu’elle puisse, en se développant, devenir un élément d’ordre et de stabilité. Ce qu’il dit à ce sujet mérite d’être cité. « La situation économique faite aux Bulgares par le traité de Berlin n’est pas plus satisfaisante que leur nouvelle situation politique. On ne crée pas arbitrairement des unités économiques ; la nature elle-même fournit le cadre nécessaire pour l’établissement d’un ordre de choses tolérable à ce point de vue. Des pays qui, en vertu de leur situation géographique et dans l’intérêt de leur développement, doivent faire partie d’un seul et même état, ne peuvent être séparés sans dommage pour l’avenir de toute la région. Une population ainsi divisée est poussée à la révolte par la force même des choses ; il lui faut renverser les barrières opposées à son progrès matériel. »

Dans une dépêche adressée au secrétaire d’état pour les affaires étrangères, le 13 juillet 1878, lord Salisbury cite parmi les avantages obtenus au traité de Berlin celui d’avoir réduit la Bulgarie au tiers de ce qu’elle était dans le traité de San-Stefano, et d’avoir ainsi limité considérablement l’influence de la Russie dans cette région. Qui ne voit que le résultat sera tout opposé ? Les trois tronçons de la Bulgarie, séparés de force et contrairement à leur unité ethnographique, géographique et économique, s’efforceront, par tous les moyens, de se réunir comme ils l’étaient sous la domination turque, et comme l’ont fait la Moldavie et la Valachie, malgré le mauvais vouloir de l’Europe ; et, pour parvenir à leur but, ils seront toujours prêts à appeler les Russes, à moins que les autres puissances ne viennent aussi à leur aide. Au lieu de créer, conformément aux droits et aux intérêts des populations, une Bulgarie forte, unie, satisfaite, en état de se défendre contre les Turcs et de se passer du secours de l’étranger, on a créé une source nouvelle de tiraillemens, de complications et de luttes.

Pour arriver à ce déplorable résultat, le ministère Beaconsfield n’a pas hésité à remettre aux mains du Turc la Macédoine bulgare,