Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous a légué qu’une littérature insignifiante, c’est que nous la connaissions déjà par Hérodote, c’est que nous étions habitués à la voir faire figure de tout temps dans nos histoires dites universelles. Là-dessus je sais bien qu’Alexandre a conquis aussi les Indes, mais il les a conquises à la course, et nous étions bien loin de soupçonner à la fin du xviiie siècle l’étroite parenté qui nous unissait aux races de l’Hindoustan. En d’autres termes encore, la lecture des hiéroglyphes ne nous livrait de secrets que ceux d’une histoire dont nous connaissions plus d’un trait déjà, mais la lecture du sanscrit nous donnait la clé de l’archive où reposaient les traditions de notre race, et, de ces traditions, depuis combien de temps avions-nous perdu jusqu’au plus vague souvenir ?

Oserai-je ajouter que, si l’on passe des choses aux hommes, il me paraît que Burnouf a fait preuve, dans ses travaux si divers, d’autant de pénétration pour le moins et d’instinct divinatoire que Champollipn lui-même, mais d’infiniment plus d’esprit de méthode et de rigueur scientifique ? Reconstituer de toutes pièces une langue perdue, comme le zend, « sans autres secours qu’un mince vocabulaire, un alphabet mal déterminé et une traduction suspecte, » ou encore déchiffrer ces célèbres inscriptions cunéiformes persanes dont le déchiffrement allait devenir la base du déchiffrement de toutes les autres, ce n’était pas assurément un moins puissant effort ni d’une moindre conséquence que le déchiffrement des hiéroglyphes. Et si l’on disait, non sans quelque raison, que ce sont là travaux spéciaux, dont bien peu d’érudits peuvent eux-mêmes contrôler la valeur scientifique, il s’en faut heureusement que ce soient là tous les travaux de Burnouf. Il est un livre au moins de lui que tout le monde peut lire : c’est son Introduction à l’histoire du buddhisme, et ce livre tout seul pourrait suffire à la gloire d’un nom. Indépendamment de toutes les qualités dont on y retrouve la marque à chaque page et particulièrement d’une hardiesse de conception tempérée par le génie même de l’exactitude et de la précision, l’Introduction à l’histoire du buddhisme est venue donner à la chronologie de l’Inde le point de repère fixe dont elle manquait jusqu’alors. Elle dégageait en même temps des fables qui en obscurcissaient l’origine et la propagation la religion vingt-cinq ou vingt-six fois séculaire de trois ou quatre cent millions d’hommes. Il était possible désormais d’écrire l’histoire de l’Inde, jusqu’alors incertaine, ondoyante, mal assurée sur ses fondemens. Et d’autre part, un flot soudain de lumière tombait sur l’événement qu’on peut appeler, avec l’apparition du christianisme, le plus considérable peut-être de l’histoire du monde.

Ce n’est pas, comme on le voit, pour le seul plaisir de louer Burnouf que nous le louons ici. Parmi tous les problèmes relatifs à l’histoire de l’antique Orient, il en était deux ou trois qui surpassaient les autres en importance pour l’histoire de l’humanité, et c’est Burnouf qui les a,