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pièce la sagacité du savant, le goût et la piété de l’artiste ; c’était l’architecture dans ce qu’elle avait produit de plus pur et de plus achevé. L’exemple si bien donné par Stuart et Revett, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, trouvait des imitateurs d’année en année plus nombreux à mesure que l’affranchissement de la Grèce et les lignes de bateaux à vapeur rendaient plus faciles les voyages d’étude[1]. C’était avec un scrupule de plus en plus religieux que l’on mesurait et que l’on dessinait les moindres restes des édifices antiques ; on en interprétait les dispositions, on en groupait les élémens, on en restituait l’ensemble, avec une intelligence des conditions de l’art qui ne cessait de gagner en sûreté et en pénétration. Les intéressantes restaurations d’Olympie et de Phigalie, publiées par Abel Blouet dans l’ouvrage de la mission française de Morée, excitèrent l’émulation de nos jeunes architectes de l’Académie de France à Rome et leur ouvrirent une nouvelle carrière[2]. Jusqu’alors ils s’étaient contentés d’étudier les monumens de Rome même et des environs du Latium et de la Campanie ; les plus aventureux avaient poussé jusqu’à Pœstum, mais ce fut seulement vers 1845 qu’ils s’enhardirent à passer la mer et à venir relever de leur ferme et magistral crayon les ruines d’Athènes et de la Grèce propre[3] ; ils devaient finir dans ces dernières années par aller chercher jusqu’en Asie-Mineure et en Syrie leurs sujets d’envoi[4].

Les pensionnaires de la villa Medici n’étaient d’ailleurs pas seuls occupés à poursuivre cette vaste enquête. Sans doute leurs travaux, dont la publication intégrale et rapide eût été d’un prix inestimable, forment le recueil le plus ample et le plus varié de documens authentiques dont puisse disposer celui qui entreprendrait l’histoire de l’architecture chez les anciens ; mais beaucoup d’autres architectes, français ou étrangers, ont prêté leur concours à cette œuvre de patientes recherches et de reconstruction du passé[5].

  1. The Antiquities of Athens, measured and delineated by J. Stuart and N. Revett ; Londres, 1761, in-f°.
  2. Expédition scientifique de Morée, ordonnée par le gouvernement français. Architecture, sculpture, inscriptions, mesurées, dessinées, recueillies et publiées par A. Blouet, A. Ravoisié, Alph. Poirot, F. Trézel et Fr. de Gournay, 1831-1837.
  3. C’est de 1845 que datent les restaurations du temple d’Athéné Poliade et du Parthénon, par Ballu et Paccard. Depuis lors, les pensionnaires de l’Académie ont dessiné et restauré sur le papier tous les monumens importans de la Grèce.
  4. En 1865, M. Joyau restaurait un des temples d’Héliopolis ou Balbek, en 1878, M. Bernier le Mausolée d’Halicarnasse, en 1879, M. Thomas le temple d’Athéné à Priène.
  5. En 1872, cette collection formait un ensemble de 61 restaurations, comprenant 691 dessins originaux sur papier grand aigle et formant la matière de 52 volumes reliés. C’est alors qu’a été décidée, grâce à M. Jules Simon, ministre de l’instruction publique, et à M. Charles Blanc, directeur des Beaux-Arts, la publication intégrale de cette suite de travaux, peut-être unique en son genre. Une commission, qui avait pour secrétaire Ernest Vinet, avait déterminé l’emploi du crédit de 20,000 francs, que la chambre, avec une libéralité qui l’honore, avait inscrit à cette fin au budget. Par malheur, cette commission décida de publier les restaurations non par ordre d’importance et de mérite, mais dans l’ordre où elles ont été composées. À ce compte, même en admettant que la publication marchât régulièrement, il faudrait attendre de bien longues années avant de voir paraître les travaux les plus intéressans, ceux qui ont pour objet les monumens de la Grèce propre. Quatre fascicules seulement ont paru, dont un seul, celui qui contient la Restauration des temples de Pœstum, par Labrouste, garde une véritable valeur ; on annonce déjà que la publication est suspendue, et il y a lieu de craindre qu’elle ne soit pas reprise.