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ouvrant la porte du pouvoir aux hommes de gauche et de droite, qu’il savait rapprocher et réconcilier dans l’œuvre commune de la réorganisation nationale. Il avait un mot pour caractériser cette manière d’entendre le gouvernement : c’était la politique d’état. C’est la seule, du reste, qu’il ait pratiquée au pouvoir, dans toute sa carrière parlementaire. La politique de parti ne lui semblait bonne tout au plus que dans l’opposition, où il est toujours resté un homme de gouvernement.

On a pu croire que c’est la réaction conservatrice du 24 mai 1873 et du 16 mai 1877 qui a inspiré au parti républicain cette politique de défiance et d’exclusion à l’égard des conservateurs monarchistes qui ont franchement accepté la république constitutionnelle. C’est une erreur. Une minorité seulement dans ce parti, le centre gauche, comprenait et acceptait les idées de Thiers sur ce point. La majorité n’a fait que les subir en nourrissant toujours le dessein de garder pour elle le pouvoir tout entier, quand elle en serait absolument maîtresse. Déjà, sous la présidence de Thiers, l’homme qui est aujourd’hui le chef de cette majorité, dans un discours célèbre où il annonçait l’avènement des nouvelles couches sociales, signifiait aux conservateurs qu’ils n’avaient plus de place dans le gouvernement de cette république qu’ils avaient contribué à établir. C’est qu’en effet le parti qui tient aujourd’hui le pouvoir a toujours entendu gouverner et administrer seul la république qu’il avait été seul à rêver, à préparer, à imposer au pays par des révolutions que le pays n’a fait que sanctionner. Quand il dit et répète qu’il ne veut pas introduire l’ennemi dans la place, il est possible qu’il soit de bonne foi dans l’expression d’un sentiment d’incurable défiance qui lui est propre. Mais il y a une autre raison qu’il ne dit point : c’est que l’intérêt de la cause ne lui fait jamais oublier l’intérêt du parti. Que la république prenne de la force et de la consistance par le concours des conservateurs qui ont servi d’autres régimes, ce n’est point là son premier souci. Il n’y a qu’une république qui soit de son goût : c’est celle où il est tout, fait tout et dispose de tout.

Avec cette façon d’entendre la république, ce parti devait avoir sa manière de la gouverner et de la conserver. Gouverner et administrer le pays en se préoccupant outre mesure des convenances du parti au nom duquel on gouverne ; chercher ses sûretés contre un retour de fortune en prenant pour devise : Qui n’est pas pour nous est contre nous ; ne voir dans ses anciens adversaires que des ennemis qu’il faut surveiller, écarter de toute fonction administrative ou municipale, de toute participation à la vie publique, qu’il faut combattre enfin et poursuivre sans trêve ni merci :