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le mérite du bras vaut celui de la tête. » Il prétend que l’instruction n’agrandit pas la « capacité de l’estomac » et ne doit pas par conséquent donner droit à une rémunération plus grande. Celui qui fait une montre n’a pas plus de droits que celui qui fait des sillons. C’est cependant ce qui permet à un ouvrier horloger d’acquérir le patrimoine de vingt ouvriers de charrue. En conséquence, il faut assurer à chacun « la suffisance, mais rien que la suffisance. »

Tels sont les principes de ce « terrible manifeste, » comme il l’appelle lui-même, publié dans le n° 35 du Tribun du peuple. Comme conclusion pratique, il propose « d’établir une administration commune, de supprimer la propriété particulière, d’attacher chaque homme au talent ou à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer les fruits en nature au magasin commun, et d’établir une simple administration de distribution qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses, fera repartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité. » L’expérience prouve, selon Babeuf, qu’un tel gouvernement est possible, « puisqu’il est appliqué journellement aux douze cent mille hommes de nos armées. » Les derniers mots de ce « terrible manifeste » semblent être le programme du nihilisme actuel : « Tous les maux sont à leur comble, y est-il dit. Que tout se confonde ! que tout rentre dans le chaos ! et que de ce chaos sorte un monde nouveau et régénéré ! » Enfin il demande « un bouleversement général dans l’ordre de la propriété, » et il déclare « la révolte des pauvres contre les riches » comme une nécessité absolue.

Les mêmes principes, sous des formes plus violentes encore, se rencontrent dans le Manifeste des égaux, pièce saisie chez Babeuf, et qui avait été rédigée par Sylvain Maréchal. Ce manifeste distingue entre « l’égalité conditionnelle » et « l’égalité réelle. » L’égalité conditionnelle, c’est l’égalité devant la loi ; c’est une hypocrisie, une stérile fiction. La vraie égalité, c’est l’égalité « de fait. » « Nous voulons, disait-on, l’égalité ou la mort. » On protestait encore contre l’accusation de loi agraire, qui n’avait été, disait-on, que le vœu de soldats sans principes. « Nous voulons quelque chose de plus sublime, la communauté des biens. » C’est la première fois que nous rencontrons cette formule précise du communisme. Les paroles de J.-J. Rousseau dans le Discours sur l’inégalité sont citées comme autorité. « Les fruits sont à tout le monde, et la terre n’est à personne. » L’auteur du Manifeste, Sylvain Maréchal, interprète sans doute de la vraie pensée de Babeuf, acceptait hardiment toutes les conséquences de ce brutal communisme. « Périssent tous les arts, disait-il, pourvu qu’il nous reste l’égalité réelle ! » Buonarotti, dans son curieux récit de la conspiration, nous apprend que le comité