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camps hors de Paris : on ne fit par là que faciliter la tâche de la conspiration. L’un de ces camps, le camp de Grenelle, devint le centre d’un vaste embauchage. Les conjurés recommandaient aux agens militaires le plan suivant : « Saper à force les généraux et leurs états-majors en ménageant les officiers subalternes. — Provoquer la désorganisation ou tout au moins l’indiscipline. — Promettre le pillage des riches et des congés absolus[1]. — Établir des bals, des guinguettes, où on attirera les soldats en les faisant boire. » Ces provocations eurent leur effet. Le mécontentement et l’indiscipline se glissèrent parmi les troupes. En effet, dans le calcul des forces dont Babeuf croyait pouvoir disposer, on comptait 1,000 canonniers bourgeois, 500 officiers destitués, 1,500 grenadiers du corps législatif, 6,000 hommes de la légion de police, 500 militaires détenus et 1,000 invalides.

Une des difficultés que rencontrèrent les conspirateurs fut la négociation avec les anciens montagnards que l’on voulait associer à l’entreprise. Babeuf consentait à accepter la constitution de 93, malgré ses deux vices principaux, à savoir la reconnaissance du droit de propriété et la prépondérance excessive du pouvoir législatif. Mais il faisait ses conditions. Il demandait que la convention se composât exclusivement de proscrits de thermidor, plus un démocrate par département, choisi par le directoire secret ; il demandait qu’on exécutât sans restriction les dispositions de l’acte insurrectionnel, enfin qu’on se soumît au décret rendu par le peuple de Paris après la victoire. Les montagnards refusèrent d’abord, puis ils finirent par consentir[2]. On convint que les cinq directeurs et les conseils seraient mis à mort. Le comité révolutionnaire devait demander au peuple de lui conférer le pouvoir exécutif et l’initiative des lois. Tout était prêt lorsque la dénonciation de Grisel fit tout échouer.

Grisel était un capitaine de la 32e demi-brigade qui s’était laissé affilier au complot pour le découvrir et le dénoncer. Cet homme paraît avoir joué le rôle d’espion et de traître par conscience et par amour du bien public. Comme il arrive d’ordinaire, ce fut pour avoir été involontairement entraîné par une demi-confidence dans une conspiration dont il ne partageait pas les principes qu’il se décida à la trahison. Il était, en effet, placé dans une cruelle alternative : ou d’aller jusqu’au bout et d’être complice malgré lui, ou de passer pour traître s’il voulait se retirer ; le danger n’était pas beaucoup plus grand pour lui en acceptant hardiment le rôle de

  1. Babeuf ajoutait à propos des congés promis : « On saura éluder l’accomplissement des promesses selon les circonstances. »
  2. C’est donc à tort que Baudot dit, dans ses Mémoires, que les montagnards se tinrent tout à fait en dehors du complot de Babeuf.