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mains de quelques fidèles et furent publiées plus tard par Buonarotti. Babeuf, une fois en prison, fut assez fou pour écrire aux directeurs une lettre où il leur proposait de traiter de puissance à puissance, leur offrant son pardon s’ils voulaient s’entendre avec lui. Cette lettre fut insérée au Moniteur. Une haute cour de justice se réunit à Vendôme, et cet immense procès commença[1].

Les accusés, au nombre de soixante-cinq, dont dix-huit contumaces, adoptèrent pour système de défense de nier la réalité du complot. Leur défense fut généralement pitoyable. Babeuf en particulier se montra tel qu’il était, c’est-à-dire le plus médiocre des hommes. Pas un mot, pas un éclair dans les discours qu’il prononça en cette circonstance. Incohérence, grossièreté de ton, stérilité absolue d’idées, platitude de langage, tels sont les caractères de ses discours. Seul, Buonarotti fit preuve d’adresse et de talent dans sa défense. Il essaya d’atténuer le côté odieux et redoutable du complot. Il se plaignit que l’on confondît « le système platonique de la communauté des biens avec le pillage. » C’est une extravagance de croire que les conjurés eussent dans l’esprit la pensée de réaliser un tel système du jour au lendemain. Ce n’étaient que des désirs et des vœux. Bien loin de pousser au pillage, le prétendu acte insurrectionnel mettait « les propriétés publiques et privées sous la sauvegarde du peuple (art. 19). » Si l’on parle des vivres, des armes, des habillemens à distribuer au peuple, ce devait être « aux frais de la république, non des particuliers. » Quant aux biens qu’on promettait aux patriotes indigens, c’étaient les biens des émigrés et des conspirateurs déjà condamnés. Buonarotti désavouait et répudiait absolument ce qu’il appelait « la production incompréhensible d’un esprit extravagant, » à savoir le Manifeste des égaux. Ce n’était, suivant lui, qu’un projet d’article qui était communiqué à Babeuf pour son journal. Cette phrase ridicule du Manifeste : « Disparaissez, distinctions ridicules de gouvernans et de gouvernés, » est démentie par l’Acte insurrectionnel, qui établissait un gouvernement. A propos des pièces inculpées, il dit qu’à côté de quelques « phrases sévères » (tuer les cinq) on en trouve d’autres « qui ne respirent que la plus tendre sensibilité, » par exemple : « Ne souffrez pas qu’il y ait un pauvre et un malheureux dans l’état. » Il soutenait qu’il n’y avait eu qu’une vague idée de rétablir la constitution de 1793, sans aucun commencement d’exécution et même sans aucun moyen d’exécution ; que d’ailleurs cette constitution avait été votée par le peuple en toute liberté, avant le régime de la terreur. Était-il donc coupable de vouloir la rétablir ? Enfin, comme conclusion, il terminait

  1. Les pièces saisies et les débats du procès composent six volumes in-8o (an IV et V).