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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/597

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jeux étoient dévoués à des larmes éternelles. Mais la douleur et la mort m’ont fait chercher le sein maternel ; il n’étoit plus pour moi, et je n’ai trouvé au lieu de lui qu’une effrayante solitude !


Qui croirait, en lisant ces lignes, que des accens aussi pathétiques aient pu être inspirés par une injuste méfiance ? Cependant, quelques années plus tard, Mme Necker devait reconnaître elle-même jusqu’à quel point son imagination l’avait égarée. Repassant assez peu de temps avant sa mort ces souvenirs de sa vie, ce fragment lui tombait sous la main, et d’une écriture tremblante elle y traçait ces mots :


Oh ! mon époux, pardonne ; j’ai cru que tu ne m’aimois plus ; je t’outrageois sans doute ; reçois mon dernier soupir.


Avant que les années eussent apporté à Mme Necker ce don précieux qu’elles nous accordent parfois en échange de ce qu’elles nous enlèvent, la sagesse du cœur, plus d’une impression mélancolique devait traverser encore ce cœur agité. Sans parler des souffrances cruelles que lui causait une santé profondément ébranlée, elle se sentait envahie par cette lassitude qui saisit parfois vers le milieu de la vie les natures ardentes. « Dans la jeunesse, disait-elle alors, on jouit des délices de la vie au sein de l’amitié ; dans la vieillesse, c’est auprès d’elle qu’on se repose de la fatigue de vivre. » Cette fatigue de vivre allait parfois jusqu’à lui faire désirer la mort, qui, aux yeux de sa foi robuste, n’était que l’entrée d’une vie meilleure, et elle adressait à Dieu l’expression de son désir dans une humble et touchante prière :


Oh ! mon Dieu, toi qui vois ce cœur sensible de la créature, permets-moi, si c’est ta volonté, de dire aussi : Laisse-moi désormais, Seigneur, aller en paix. Que ferois-je de plus sur la terre ? Tu sçais si j’ai aimé et si j’aime encore le mari que tu m’as donné ; mais son caractère, malgré ses grandes vertus, l’oblige à chercher son bonheur loin de moi, et les méchans l’ont blessé même dans ses projets par cette union dont peut-être ils l’ont fait repentir. J’espérerois en vain de lui tenir lieu à présent de la puissance qu’il n’auroit plus. Ma fille n’a pas besoin de moi pour être heureuse. Ses goûts et les miens diffèrent, et bientôt elle cessera même de me regretter. D’ailleurs j’espère que sa tendresse, se portant toute entière sur son père, elle contribuera à la douceur de sa vie. Que laissé-je donc sur la terre ? Les biens dont tu m’as comblée ? Oh mon Dieu, j’en ai joui avec gratitude, mais je retourne à toi, source de tous biens. Des malheureux ? Le peu que j’espère de faire pour eux est sans cesse traversé par la malice des hommes, et