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Ce n’étaient pas seulement les dents et la taille de Germaine Necker qui tenaient en éveil la sollicitude de Mme d’Houdetot ; elle surveillait aussi avec intérêt les précoces manifestations de cette jeune nature et goûtait déjà dans ses enfantines conversations ou dans ses lettres un charme dont elle s’empressait de faire part à sa mère :


Est-il possible, lui écrivait-elle, que je puisse envisager la satisfaction prochaine de vous embrasser, de rendre mes tendres hommages à celuy qui s’est attiré de ma part une sorte de culte et de serrer dans mes bras cette aimable fille qui a les germes de tout bien comme de tout agrément, et (dussiés-vous me taxer encore de frivolité) dont les grâces m’ont tant séduites, même celles dont mon âge, le cours de mes idées et ma situation m’éloignent le plus. Ah ! voyés avec indulgence croître à la fois tant de bonnes choses et choisisses celles qui vous conviennent… Dittes-luy bien qu’elle n’abandonne pas sa charmante gayeté en m’écrivant, qu’elle me plaist quand même je ne puis y répondre, que je la sens et que je dis non-seulement que qui n’a pas l’esprit de son âge n’en a pas le bonheur, mais n’en a pas même le bon esprit. Aucune de ses grâces n’est perdue pour moy. Ce sont, ma charmante amie, les fleurs de votre vie ; amusés vous à les cueillir. Vous scaurés bien ne cultiver que celles qui promettront du fruit, mais convenés qu’elle en promet beaucoup.


De cette correspondance entre Germaine Necker et Mme d’Houdetot, je ne possède malheureusement qu’un témoignage, c’est une lettre de Mme d’Houdetot, qui est postérieure de quelques années et qui est adressée non plus à l’enfant, mais à la jeune fille. Je n’en crois pas moins devoir la publier ici :


Quels remerciemens ne vous dois-je pas, mademoiselle, de vous charger de me donner des nouvelles de Mme votre mère, et de continuer avec moi une correspondance si nécessaire à mon cœur ! Mon attachement pour elle, pour M. votre père et pour vous, indépendant des circonstances, n’a pas besoin de ce qui pourroit le renouveler ; mais que d’occasions de le sentir plus vivement n’ai-je point encor dans ce moment ? L’état de maladie de Mme votre mère, la hauteur sublime où vient de s’élever M. votre père[1] aux yeux de tout ce qui est raisonnable et sensible, cet intérêt si touchant, cette tendresse filiale si bien peinte dans votre lettre, mademoiselle, tout me fait de votre famille et de vous des êtres chers et sacrés pour lesquels une sorte de culte se mêle à la tendresse… Le ciel vous a donné,

  1. M. Necker venait alors de faire paraître son ouvrage intitulé de l’Importance des opinions religieuses.