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doute. Il tient pour suspects tous les fonctionnaires qui ont servi d’autres gouvernemens, et ne manque aucune occasion de les remplacer par des amis et des coreligionnaires. En un mot, tandis que l’empire laissait la porte des administrations ouverte à tous les partis, comprenant fort bien que c’était le servir que de bien servir l’état, la république, sous la domination de nos jacobins, la ferme à tous les partis, moins encore parce qu’elle les tient pour suspects que parce qu’il lui faut beaucoup de places pour ses nombreux amis. Et voilà comment cette république n’est plus la chose de tous, comme le veut son beau nom, mais la chose d’un parti, une espèce de domaine exploité par une race de politiciens qui font de la politique une industrie. Nous avions souvent entendu parler des illusions naïves et de la généreuse indignation des républicains sous les gouvernemens monarchiques, dont ils dénonçaient la corruption et l’appel aux appétits. Nous pensions toujours à la belle définition de Montesquieu : La république est le gouvernement de la vertu. A la manière dont il traite les affaires du pays, le parti républicain ne passera plus longtemps pour le plus honnête et le plus désintéressé des partis.

Veut-on encore des exemples de la préoccupation électorale qui domine toute la politique de nos gouvernans ? Pourquoi la conversion des rentes, qui rapporterait 40 millions au trésor, n’a-t-elle pas encore été proposée par le gouvernement ? Parce qu’il y a un intérêt électoral à ménager. On se souvient de l’impopularité de l’impôt des 45 centimes en 1848. On sait que la fureur d’épurations n’a nulle part autant sévi que dans l’administration des finances. Pourquoi là plus qu’ailleurs ? C’est ce qu’il serait curieux de rechercher. Ne serait-ce point que les agens du fisc ont des devoirs à remplir envers et contre tous, qui gênent singulièrement certaine classe d’électeurs très influens dans les élections faites par le suffrage universel ? Nous ne disons pas que les nouveaux agens manqueront à leur devoir ; mais il faut convenir qu’anciens et nouveaux, tous auront bien du mérite à le faire sous le coup des dénonciations des gens qui se trouvent trop surveillés. Autre exemple : quand M. le président du conseil, alors qu’il était ministre des travaux publics, a proposé et fait voter par les deux chambres ses grands projets de chemins de fer à racheter ou à faire, il n’a certes pas pensé à autre chose qu’à couvrir le pays de voies de communication qui, par le nombre et la supériorité d’exploitation, doivent accélérer les progrès de notre commerce et de notre industrie. Mais il n’est pas défendu de soupçonner que les politiques qui ont secondé son ardeur y voyaient une armée de fonctionnaires nouveaux au service du gouvernement républicain, dans les futures élections. Et comment veut-on qu’il n’en soit pas ainsi, quand on