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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/723

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violemment poursuivie peut entraîner l’Europe dans les plus redoutables bouleversemens.

Voilà la question qui se débat une fois de plus dans cette phase nouvelle des affaires d’Orient ; que la conservation de ce qui survit de l’intégrité de la Turquie soit devenue difficile, c’est possible, nous le voyons bien. Tout ce qui s’est passé depuis bien des années a rendu si précaire, si laborieuse cette indépendance ottomane progressivement diminuée qu’on ne sait plus vraiment ce qui en restera demain. Et cependant comment remplacera-t-on cette garantie traditionnelle, cette indépendance, cette intégrité de l’empire ottoman qui a été si longtemps une sorte de dogme de la politique européenne ? Rien de plus simple, dira-t-on : il n’y a qu’à renvoyer les Turcs, « le sac sur le dos » en Asie et à les remplacer par des états nouveaux, par des confédérations chrétiennes. C’est à peu près ou c’était l’opinion du premier ministre de l’Angleterre, M. Gladstone, qui se montre en cela un étrange héritier de Chatham ou même de Palmerston et qui est peut-être un peu embarrassé aujourd’hui des déclamations auxquelles il s’est laissé aller plus d’une fois dans l’opposition. Rien de plus simple, si l’on veut, que toutes ces combinaisons des esprits chimériques et des politiques ambitieuses : rien de plus simple théoriquement, bien entendu ; mais il est bien évident qu’une fois dans cette voie, il y aurait un certain nombre de difficultés à vaincre pour constituer le nouvel Orient qu’on rêve, et la première de toutes ces difficultés serait de s’entendre entre puissances coopératives de ce beau travail. M. Gladstone, dans sa fougue d’imagination, dans ses ardeurs de sectaire, pourrait ne pas reculer devant une alliance avec la Russie ; il s’entendrait probablement beaucoup moins avec l’Autriche, qui elle-même est visiblement appuyée par l’Allemagne, — et c’est avec des politiques divisées de traditions, d’intérêts, d’ambitions, de convoitises, qu’on prétendrait disposer de l’Orient, qu’on s’exposerait à précipiter la ruine définitive d’un empire demeuré jusqu’ici la dernière garantie de l’indépendance du Bosphore ! Voilà une étrange manière de travailler à maintenir, à sauvegarder cette paix dont on parle tant.

Que d’autres se laissent séduire par des chimères périlleuses, c’est leur affaire. Quant à la France, elle est certainement de toutes les puissances la mieux placée pour avoir une politique simple, libre, dégagée de toute solidarité compromettante. La France n’a aucune raison pour se laisser associer aux suites d’une aventure où elle n’a eu ni une part directe ni une influence sérieuse. Elle n’est liée par aucune circonstance récente, par aucun intérêt immédiat. Les autres puissances sont plus ou moins engagées dans les événemens. La Russie a ses ambitions traditionnelles en Orient et le souvenir de ce qu’elle a fait il y a deux ans. L’Autriche est dans la Bosnie et dans l’Herzégovine. L’Angleterre a pris Chypre et elle a ses vues sur l’Asie-Mineure. La France ne