Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/798

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
792
REVUE DES DEUX MONDES.

belles œuvres de science délicate et d’élévation. Sans doute, à côté d’eux, il pouvait y avoir place pour des talens bien différens, et l’on comprend très bien que Hiéron ait aimé en même temps les hardiesses bouffonnes de la comédie ; ainsi au théâtre d’Athènes le même public applaudissait, après la trilogie tragique, le drame satirique qui complétait la représentation. Il est même probable qu’Épicharme, fixé à Syracuse et familier du palais, fut de la part du souverain l’objet d’une faveur plus marquée et plus constante, et qu’il put s’y livrer plus librement à son naturel. Un trait conservé par Plutarque nous donne un exemple de la hardiesse spirituelle qu’il portait dans cette familiarité avec le tyran. Hiéron l’invitait à dîner peu de jours après avoir fait périr quelques-uns de ceux qu’il admettait dans son intimité. Le poète lui répondit : « Tu sacrifiais dernièrement et tu n’as pas invité tes amis. » La phrase grecque pouvait aussi bien signifier : « Tu sacrifiais tes amis, et tu ne m’as pas invité. » On ne dit pas que Hiéron se soit offensé de cette courageuse réponse. Cependant le même auteur rapporte qu’il punit le poète comique pour s’être permis des paroles inconvenantes en présence de sa femme. D’après ces deux souvenirs, il ne semble pas qu’Épicharme, dans cette cour brillante d’un tyran cruel et jaloux de sa dignité, ait dû être fort encouragé à l’abus des grossièretés comiques.

Lors donc qu’on se demande s’il faut le considérer comme un poète poli et raffiné, comme un poète de cour, ou comme un poète populaire, fidèle interprète de cette exubérance de gaîté licencieuse que provoquaient chez la foule les fêtes de Bacchus, on est averti que la question ne peut se poser sous cette forme absolue et que la seconde alternative souffre au moins de fortes atténuations. Sans doute le caractère propre des divertissemens comiques, tels qu’ils étaient nés des débauches dionysiaques, ne pouvait disparaître, et la partie distinguée du public aurait été la première à se plaindre, si la marque hardie du dieu avait été effacée. Mais ces mêmes spectateurs, habitués à des jouissances délicates, demandaient aussi quelque chose de plus relevé à celui qui prétendait à leurs suffrages ; ils voulaient applaudir, non pas un simple bouffon, mais un artiste. Nous savons déjà qu’il y a plus d’une raison de croire qu’Épicharme s’efforça de les satisfaire ; ajoutons-y une présomption.

Il est un nom que les témoignages grecs citent souvent à côté de celui d’Épicharme, c’est le nom de Phormis, qui partage avec lui l’honneur d’être désigné par Aristote comme ayant constitué la comédie par l’invention de la fable. Ce Phormis fut lui-même un remarquable exemple de ce que la vie de beaucoup de Grecs dis-