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lois naturelles. C’est là-dessus qu’il fonde la liberté et la propriété, se refusant à admettre les bases purement conventionnelles que celle-ci a reçues de la plupart des jurisconsultes. Descartes voulait un inconcussum quid à la base de la métaphysique. Il eu faut un en économie sociale. Le roc inébranlable, c’est le droit. Défendez-en le fondement contre des transformations sociales arbitraires. Placez-le au-dessus de la variabilité indéfinie d’un devenir sans règle et sans terme. Ne laissez pas croire qu’entre l’Internationale et notre société il n’y a qu’une question de temps. Cabet et Fonder sont-ils des esprits fourvoyés, ou bien sont-ils des prophètes ? La question est là. Étranges conservateurs que vous êtes, vous concédez que la propriété est bonne pour aujourd’hui, peut-être pour demain, mais plus tard ? .. Un tel doute sacrifie ce qu’il a l’air de défendre. J’en suis fâché pour M. Sainte-Beuve, c’est à peu près de la sorte qu’il a prétendu répondre à Proudhon dans le volume si plein de sympathique bienveillance qu’il consacre au célèbre auteur du livre : Qu’est-ce que la propriété ? Nul droit, nul principe, nulle vérité fixe, nulle nécessité durable : pure question de circonstance et d’opportunité. A merveille ! Ne vous étonnez pas que les impatiens veuillent devancer l’heure ! Ils ont raison. Ce n’est pas en se croisant les bras qu’elle viendra jamais. Un tel scepticisme m’inquiète. Il justifie les révolutionnaires les plus radicaux. Qu’ils aient seulement du cœur, ils auront l’avenir. Leurs yeux verront ce que l’œuvre de leurs mains aura su faire.

C’est en maintenant fortement l’idée de la personnalité humaine avec ses conditions nécessaires et ses exigences légitimes et permanentes que M. Renouard combat ces idées de nivellement qui aboutissent à ce que, dans le langage du jour, on appelle la collectivité. Je dirais volontiers qu’il fait pour la volonté individuelle ce que les jurisconsultes philosophes ses maîtres ont fait pour la raison impersonnelle. Il cherche dans cette idée de force individuelle à la façon dont la conçoivent un Leibniz et un Maine de Biran, un fondement inaccessible à toute atteinte. Cette liberté veut une inspiration et une règle. Notre jurisconsulte n’hésite pas à la demander à la célèbre définition cicéronnienne de la loi, lex perennis, agrandie par le christianisme et la philosophie moderne, loi qui tôt ou tard abroge ce qu’elle n’a pas dicté. Elle ne dépend, comme le remarque l’orateur romain, ni des rois ni des sénats. C’est cette loi éternelle, qu’indépendamment de toute jurisprudence écrite invoque Antigone dans le théâtre grec lorsque, malgré la défense du maître, elle a rendu les devoirs funèbres à son frère Polynice. Admirable leçon de droit qui n’a rien perdu avec le temps ; mais le commentaire qu’elle comporte n’est pas resté stationnaire. L’homme