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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/861

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une récompense suffisante pour en faire pardonner l’injustice. Lord Minto reçut des directeurs de la compagnie des Indes et de tous ceux qui l’avaient approché durant le cours de son administration des témoignages d’estime et de regret qui étaient de nature à lui faire oublier l’ingratitude du gouvernement anglais. Il dut, avant son départ, installer son successeur à sa place et s’achemina, plein d’espérance et en bonne santé, vers l’Angleterre, se promettant de jouir enfin d’un repos bien acquis à Minto, cette terre promise où, comme Moïse, il ne devait point lui être donné d’aborder. À Londres, joyeusement accueilli par ses enfans et ses amis, il avait prié sa femme, afin de donner plus de douceur à leur réunion, de l’attendre dans le château témoin de leur première affection, où devait s’écouler désormais le reste de leurs jours. Cependant, un refroidissement pris aux funérailles de lord Auckland, son beau-frère, devint bientôt une maladie si grave que, persistant à partir pour atteindre sa chère maison, lord Minto fut forcé de s’arrêter sur la route, dans une auberge. C’est là qu’il expirait avant même que l’épouse qui l’attendait impatiemment après sept années d’absence eût eu le temps d’arriver pour recevoir son dernier soupir.

Cette fin, qui clôt si brusquement la carrière d’un homme de bien, est un de ces mystères de la Providence qu’il ne nous est permis ni de comprendre ni de juger. S’il n’obtint pas la récompense que, suivant les prévisions humaines, une vie si bien employée méritait de rencontrer, dès ce bas monde, la seule qu’il ait, en effet, ambitionnée, celle d’un bonheur goûté parmi les joies de la famille au sein de la considération générale, lord Minto, devra, du moins, à la récente publication de sa petite-nièce l’honneur d’avoir été, après sa mort, apprécié à sa juste valeur par ses compatriotes. Il n’est aucun d’eux qui ne rende aujourd’hui justice aux facultés éminentes qu’il a déployées sur le vaste théâtre des Indes, et son administration y est encore regardée comme ayant été des plus heureuses pour ces lointaines contrées où tant d’intérêts réclament la direction d’une main habile, aussi prudente que ferme. Pour nous, Français, la mémoire de lord Minto, vice-roi de la Corse pendant l’occupation de cette île par les Anglais et gouverneur des Indes alors qu’une expédition, organisée par ses soins nous enlevait l’Ile de France et Bourbon, demeure au contraire associée à de pénibles souvenirs ; quelle qu’en soit l’amertume, nous nous en serions voulu s’ils nous avaient empêché de reconnaître, chez cet ancien adversaire, des qualités qui, parmi toutes les nations ayant gardé le souci de la vérité, ont toujours eu droit au respect et même aune généreuse sympathie.


C. DU PARQUET.