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quand il disait qu’un esprit conquis par la philosophie est définitivement perdu pour la religion. Il affirme que la science, en entrant dans l’esprit humain, en fait sortir la métaphysique, de même que celle-ci prend la place de la théologie. Voilà bien la pensée de la formule qui fait l’objet de cette étude. Il s’agit de voir jusqu’à quel point la réalité historique se prête à cette formule, en prenant chacun des termes qui la composent, théologie, métaphysique, science.

Que la théologie ouvre la série des trois états, c’est une vérité connue depuis longtemps. Aristote en avait déjà fait la remarque dans son admirable résumé de la philosophie antésocratique. Mais ici s’offre une distinction qui aurait dû frapper tout d’abord l’attention de l’école positive. Il y a la théologie des religions primitives et la théologie des religions ultérieures. Les premières sont les œuvres d’une imagination naïve fortement saisie par le spectacle des phénomènes de la nature. Leur théologie présente, en effet, ce caractère de représentation sensible ou de personnification individuelle de puissances physiques ou morales que le positivisme assigne aux conceptions théologiques. Ainsi nous apparaissent les vieilles religions de la nature, dans l’Inde, en Égypte, en Chaldée, en Perse, en Judée, en Grèce, en Gaule, en Germanie, chez tous les peuples qui en sont à la période d’enfance de leur civilisation. La religion grecque nous offre le type le plus complet de cette théologie qui répond exactement à la définition du positivisme. Sa mythologie est l’anthropomorphisme sous sa forme la plus parfaite et la plus poétique. Il n’est pas de puissance naturelle ou morale qui ne prenne un caractère divin sous figure humaine. Tout y est dieu, excepté Dieu lui-même, comme dit Bossuet. Sans être une religion primitive, dans le sens absolu du mot, puisque l’origine orientale n’en est pas contestable, le polythéisme grec est la religion par excellence de l’imagination ; la poésie et l’art n’y ont pas moins de part que l’inspiration naïve et spontanée. La théologie des mystères, où se cachait peut-être la pensée métaphysique du sacerdoce hellénique, n’a jamais eu la popularité de la mythologie des poètes et des artistes.

Quand nous disons que cette espèce de religions primitives rentre dans la formule positiviste, nous n’entendons parler que de la conception théologique proprement dite. Il ne faut pas oublier que toutes les religions connues nous apparaissent comme des synthèses plus ou moins complètes dont l’idée théologique fait l’unité, mais où se trouvent réunis et confondus les premiers élémens de toute civilisation, art, morale, politique, poésie, histoire, science même, sous les formes les plus rudimentaires. Ce que l’on