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conversion de Julien. Ce ne fut pas un de ces coups subits qui, en un moment, changent un homme ? elle se fit lentement, peu à peu, et nous pouvons rétablir presque tous les degrés par lesquels il est revenu, à l’ancienne religion. On nous dit, et nous n’avons pas de peine à le croire, qu’il a toujours eu pour elle, au fond du cœur, une préférence instinctive ; son orgueil de Grec le disposait à croire que les dieux, que la Grèce avait si longtemps servis étaient les véritables. Il fut encore rapproché d’eux par l’éducation qu’il reçut dans les écoles, l’étude de la rhétorique, la lecture des livres où ils tenaient tant de place ; mais tout le monde s’accorde à reconnaître que ce furent les leçons des philosophes qui achevèrent de le décider. On doit en conclure que leur enseignement répondait à quelque besoin de son âme que le christianisme n’avait pas pu contenter. Cet enseignement, nous l’avons vu, ne se composait pas seulement d’une métaphysique hardie, d’un mélange de raisonnemens subtils et de rêveries audacieuses qui donnent le vertige à l’esprit ; il prétendait fournir le moyen de communiquer avec la divinité, d’aller vers elle ou de l’attirer à soi, d’entendre sa voix dans les songes ou dans les oracles, et de savoir d’elle-même sa nature et ses desseins. Voilà ce que Julien ne trouvait pas au même degré dans la religion des chrétiens. Quelque part qu’elle ait voulu faire aux surexcitations de la dévotion, il y a toujours eu des âmes à qui son dogmatisme a paru froid et qui n’ont pas pu se passer du charme des révélations et des extases. De là sont nées ces sectes mystiques que l’église a tantôt tolérées avec méfiance, tantôt repoussées sévèrement de son sein. C’est le même besoin qui a jeté Julien dans les bras de Maxime d’Éphèse et de ses amis. On se trompe souvent sur les motifs de sa conversion ; on la regarde comme une sorte de révolte, du bon sens contre les excès de la superstition ; c’est une profonde erreur : il y avait certainement plus de croyances et de pratiques superstitieuses dans la doctrine qu’il adoptait que dans celle qu’il a quittée, et, s’il a changé de foi, ce n’est pas en haine du surnaturel, c’est qu’au contraire il ne trouvait pas assez de surnaturel à son gré dans le christianisme.


II

Julien a dit quelque part « qu’il a été chrétien jusqu’à vingt ans. » On a vu qu’il ne faut pas prendre ces mots à la lettre. Chrétien fervent et sincère, il est bien probable qu’il ne l’a guère été ; mais il faisait au moins profession de l’être. Il avait, pendant vingt ans, vécu parmi les fidèles, fréquenté les églises, lu les livres sacrés, écouté l’enseignement des évêques, lorsqu’il fut tout à fait conquis par le paganisme.