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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/884

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Ce n’est pas la connaissance des sciences naturelles et historiques qui a manqué à la nouvelle philosophie allemande. Schelling, Hegel, Krause, Herbart étaient parfaitement au courant des progrès de ces sciences, et il faut reconnaître qu’ils ont su parfois en tirer d’ingénieuses applications à leurs systèmes. Cette philosophie n’a-t-elle pas eu ses physiciens, ses physiologistes, ses naturalistes, ses historiens, ses moralistes et ses jurisconsultes ? Si donc aucun de ces systèmes n’a prévalu définitivement, ce n’est point à l’ignorance scientifique de leurs auteurs qu’on peut l’attribuer. Selon nous, la méthode seule a égaré leur science et leur génie. Ils ont cru pouvoir escalader le ciel à la façon des Titans de la fable, en entassant formules sur formules. On s’étonnerait moins des hardiesses paradoxales de la philosophie de l’identité, si l’on voulait bien se souvenir que cette philosophie est sortie de la critique de Kant. Ce profond esprit, dans un livre immortel comme l’Organum de Bacon et le Discours de la méthode de Descartes, avait opposé le monde de la pensée au monde de la réalité, en s’efforçant de montrer, par l’analyse des concepts purs de l’esprit et la discussion des antinomies, qu’il n’y a pas lieu de conclure des formes de notre intelligence aux lois de la réalité. L’objection était grave et semblait insoluble. Les grands métaphysiciens, tels que Schelling et Hegel, qui n’en pouvaient rester à ces conclusions négatives, crurent rouvrir la voie fermée à toute espèce de réalisme par la critique du maître, en faisant de la pensée, phénomène tout subjectif, selon Kant, la réalité absolue, le véritable objectif, la loi suprême qui gouverne le monde de la nature aussi bien que le monde de l’esprit. Le principe de l’unité universelle, que la science peut d’autant plus admettre qu’elle tend à le confirmer de plus en plus, a conduit Schelling et son école à un autre principe, beaucoup moins conforme à l’expérience, à savoir l’identité des contraires. C’est de ce principe de l’unité que la philosophie allemande a conclu témérairement l’absolue correspondance des lois de la pensée et des lois de la nature, en vertu de laquelle la spéculation pure, que ce soit l’intuition spontanée de l’absolu, comme le veut Schelling, ou bien une savante et laborieuse logique, comme le prétend Hegel, peut reconstruire, au moins dans ses traits généraux, le système de la réalité universelle. C’est là ce que ni la science ni la philosophie de notre temps ne pouvaient accepter.

Nous ne savons quel philosophe allemand reprochait à la logique de Hegel de ne pas faire sortir un brin d’herbe de ses laborieuses créations. Hegel avait raison de lui répondre que le but de sa logique est de produire des idées, non des réalités. Seulement il avait le tort de demander à la logique pure le système d’idées qui