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elle n’accepte, cela est bien clair, que ce qui est plus ou moins conforme à ses vues, ce qui sert ses intérêts. L’Angleterre, elle aussi, a bien en Orient ses ambitions d’influence, ses intérêts, ses vues traditionnelles dont lord Beaconsfield avait la prétention de s’inspirer dans sa diplomatie remuante et hardie. La question est de savoir dans quelle mesure la politique anglaise a été modifiée par l’avènement du ministère libéral, jusqu’où elle veut aller dans ses interventions diplomatiques, vers quelles alliances elle incline. Il est certain que, par une anomalie assez imprévue, les idées que M. Gladstone a exprimées plus d’une fois depuis quelques années au sujet de l’Orient n’ont rien d’absolument incompatible avec les combinaisons de San Stefano, ce qui tendrait à faire du cabinet de Londres un allié éventuel, tout au moins possible, du cabinet de Saint-Pétersbourg. Entre la Russie et l’Angleterre, l’Autriche et l’Allemagne prennent visiblement une position de plus en plus distincte. Elles ont lié partie, et le rapprochement qui s’est fait entre elles ne peut que s’accentuer, se resserrer en face d’une question qui ne laisse pas d’avoir son importance dans les affaires d’Orient, qui est de nature à mettre aux prises toutes les influences : c’est le règlement de la navigation du Danube.

Ce n’est point sans doute une question nouvelle ; elle avait été réglée autrefois après la guerre de Crimée, après le traité de Paris, qui, en dépossédant la Russie de quelques territoires, l’avait éloignée des rives du fleuve. Une des conséquences de la dernière guerre, des modifications territoriales qui ont été accomplies, du retour de la Russie sur le bas Danube, a été de remettre en doute tout ce qui avait été fait, de nécessiter de nouveaux arrangemens, de provoquer la nomination de nouvelles commissions internationales pour reprendre la question. La Russie, rentrée en possession de territoires qu’elle avait perdus autrefois, redevenue riveraine du fleuve, s’efforce nécessairement de ressaisir son influence sur la navigation, de faire adopter un régime, des règlemens où elle trouverait ses intérêts, et elle paraît en cela être secondée par l’Angleterre. L’Autriche, de son côté, tient à garder une certaine primauté dans une partie du fleuve, et elle y attache d’autant plus d’importance qu’elle est maintenant plus engagée en Orient par l’occupation de l’Herzégovine et de la Bosnie. L’Autriche est appuyée par l’Allemagne. Les deux puissances sont d’accord pour voir dans cette question du Danube une affaire d’intérêt commun. Elles semblent décidées à marcher’ensemble, et l’entrevue toute récente de l’empereur d’Allemagne et de l’empereur d’Autriche à Ischl est certainement une preuve de l’intimité croissante des deux gouvernemens, de l’alliance des deux politiques. L’entrevue de l’empereur François-Joseph et de l’empereur Guillaume a même pris une signification de plus par la présence du prince de Serbie et du prince de Roumanie, l’un et l’autre riverains du Danube. Cette affaire de la navigation a eu nécessairement un rôle dans les