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chacun d’eux correspond un soleil particulier, qui est le centre du système. Il y a donc trois soleils, répondant à ces trois mondes divers, et. qui ont une importance et des attributions différentes. Celui du monde intelligible, c’est-à-dire le premier principe, l’Un, le Bien, est surtout pour Julien un objet de spéculations philosophiques, que sa pensée aime à entrevoir dans le lointain, mais qui ne se laisse guère aborder. Le soleil du monde sensible, celui que nous voyons et dont nous jouissons, est trop matériel pour être le dernier terme de ses adorations. C’est donc sur le Dieu central du monde intelligent qu’il concentre surtout ses hommages. Il l’appelle « le Roi-Soleil, » et le regarde comme une sorte d’intermédiaire par qui les perfections se transmettent du monde intelligible au monde sensible et qui communique à ce dernier les qualités qu’il a reçues lui-même du Bien absolu. M. Naville a raison de dire que, dans ces conceptions, Julien s’est inspiré d’abord de Platon, mais qu’il s’est aussi souvenu de la théologie chrétienne. « Il y a une parenté évidente entre le Roi-Soleil et ce Dieu secondaire, organe de la création, que les pères du IIe siècle avaient proclamé sous le nom de Logos et le concile de Nicée sous le nom de Fils, et les expressions dont Julien se sert pour définir sa nature rappellent quelquefois celles que les docteurs ecclésiastiques appliquent au deuxième terme de leur Trinité. Julien espérait peut-être substituer le Roi-Soleil au Verbe-Fils dans l’adoration du peuple. »

Je crois que cette analyse rapide suffit pour nous donner une idée de ce que Julien voulait faire. Il part ici du plus important des cultes populaires, celui du Soleil, qui avait peu à peu effacé tous les autres et dans lequel semblaient se concentrer en ce moment toutes les forces vives du paganisme. Par ses origines lointaines, ce culte se rattachait aux vieux mythes d’Apollon, le dieu national de la Grèce, mais il s’était rajeuni et renouvelé par l’introduction d’élémens orientaux. Au moment même où Julien écrivait, c’était une autre incarnation du « Soleil invincible, » le dieu persan Mithra, qui, grâce à ses associations secrètes et à ses mystères, attirait et passionnait la foule. À cette dévotion ardente, sur laquelle tout le système de Julien repose comme sur une base solide, il veut donner ce fond de théologie dogmatique qui lui manquait. Il prend à Platon ses spéculations les plus audacieuses et les plus séduisantes sur la hiérarchie des différens mondes, sur l’émanation, qui les fait sortir les uns des autres, sur le Beau absolu, sur les idées, etc., et il espère qu’en appuyant les croyances naïves du peuple sur les doctrines des philosophes, il leur donnera la force de tenir tête au christianisme. L’œuvre était grande assurément et tout à fait digne de cet esprit ingénieux et hardi, mais il n’était pas aisé d’y réussir. Quand on la regarde de près et qu’on la compare au