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sorte que les résultats auxquels arrivent les sages occupés à scruter les mystères de la nature divine peuvent être regardés comme dictés par les dieux eux-mêmes. On pourrait, je crois, comparer ce système à celui des théologiens protestans, quand ils soutiennent que les fidèles peuvent interpréter les livres sacrés par leur inspiration personnelle et que le Saint-Esprit leur communique les lumières nécessaires pour les comprendre. La seule différence, et par malheur elle est très grave, c’est qu’il n’y avait pas de livres sacrés chez les païens. Il était difficile d’attribuer beaucoup d’autorité aux poèmes d’Homère, et les philosophes s’accordaient trop mal ensemble pour qu’on pût tirer d’eux une doctrine commune[1]. Le système de Julien manquait donc d’une base solide. Comme il était obligé de partir de légendes vagues ou de fantaisies philosophiques, tout y était livré aux caprices de l’interprétation individuelle. Ce qu’un sage avait trouvé ne s’imposait pas suffisamment aux autres, et chacun était obligé de reprendre le travail pour son compte. On voulait alors autre chose : les esprits fatigués d’erreurs cherchaient une doctrine fixe et sûre pour s’y reposer en paix, et Julien ne pouvait pas la leur donner.

Il était aussi très difficile que sa doctrine, qui se composait d’élémens très divers, formât un tout bien uni. C’était du reste l’inconvénient de toutes les restaurations qu’on essayait alors du vieux paganisme. Comme on prétendait relever les religions populaires par des interprétations philosophiques, il était nécessaire de mêler des spéculations très sérieuses avec des légendes ridicules, ce qui ne produit jamais un effet heureux ; il fallait surtout trouver quelque moyen de passer du monothéisme des gens éclairés au polythéisme de la foule, et c’était là un problème encore plus embarrassant que tout le reste. Julien a rencontré devant lui les mêmes difficultés et il ne les a pas tout à fait résolues. On ne voit pas nettement s’il accorde aux mille divinités de la fable une existence réelle et une personnalité distincte. M. Naville fait remarquer que, lorsqu’il parle d’elles, sa pensée est souvent indécise, que tantôt il semble les regarder comme des forces de la nature ou de simples conceptions de l’esprit, tantôt il les représente comme des personnes animées qu’il croit voir et entendre, dont il invoque le secours, et « pour lesquelles il a les mêmes sentimens que pour des parens et de bons maîtres. » Je ne sais s’il s’est bien entendu lui-même sur ce point important, et je n’oserais pas dire avec autant d’assurance que M. Naville « que

  1. M. Naville a très bien montré que le système de Julien repose sur cette idée que les philosophies antiques aboutissent toutes aux mêmes résultats, et que cette idée n’est pas exacte.