Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’insurrection n’était pas abandonné et que de nouveaux chefs avaient été choisis pour remplacer ceux qui étaient tombés entre les mains de la police. Le complot devait être mis à exécution dans la nuit du 23 mai, à Dublin en même temps que dans les provinces. On espérait se saisir par surprise du château de Dublin, résidence du lord-lieutenant. Cette partie du plan avorta complètement, le gouvernement ayant pris des précautions et ayant fait arrêter, le 19 mai, les chefs qui lui avaient été dénoncés par Armstrong. Dans les provinces, au contraire, l’insurrection éclata au jour désigné et s’étendit comme une traînée de poudre. En un clin d’œil le Leinster, le Munster et l’Ulster furent en feu. Le Connaught seul resta calme. Le premier élan de l’insurrection fut irrésistible. Les Irlandais-Unis s’avancèrent jusqu’à 16 milles de Dublin. Là se fit sentir l’absence d’un chef militaire expérimenté. Les insurgés ne surent pas profiter de leurs premiers succès. Les troupes royales reprirent vigoureusement l’offensive. Battus à Naas, repoussés des hauteurs de Kilcalan, les Irlandais-Unis durent renoncer à toute nouvelle tentative contre Dublin. Ils échouèrent également contre Carlow. Ils n’avaient donc pas réussi à s’assurer, dans le Munster, la possession d’une seule ville importante. Dans l’Ulster et dans le Leinster ils furent plus heureux. Dans l’Ulster surtout, on put croire qu’ils arriveraient à établir un centre de résistance et une sorte de gouvernement. A la suite d’un succès remporté sur un régiment de milice, ils occupèrent la petite ville d’Enniscorthy et peu après celle de Wexford, capitale du comté du même nom. Bientôt maîtres du comté tout entier, rayonnant de là dans toutes les directions, ils commencèrent à causer de sérieuses inquiétudes au gouvernement central.

Devant la gravité de la situation, Pitt jugea nécessaire de concentrer dans une seule main l’autorité civile et l’autorité militaire. Lord Cornwallis fut envoyé en Irlande, avec pleins pouvoirs, pour remplacer tout à la fois le vice-roi, lord Camden, et le commandant en chef, sir Ralph Abercromby. C’était un militaire estimé, malgré ses malheurs dans la guerre d’Amérique. Aussi n’accepta-t-il qu’à regret une tâche dont il ne se dissimulait pas les côtés répugnans. Les événemens ne justifièrent que trop ses craintes. Il arriva en Irlande pour assister à des scènes d’horreur qu’il ne fut pas en son pouvoir d’empêcher. Le meurtre, le viol, l’incendie, marchaient à la suite, non pas seulement des bandes indisciplinées de l’insurrection, mais des troupes royales et des régimens de milice restés fidèles à la cause anglaise. A Enniscorthy, quatre-vingts prisonniers furent brûlés vifs par les Anglais ; à Scullabogue, cet horrible supplice fut infligé par les Irlandais-Unis à quatre-vingts protestans.