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d’impressions. Après tout, qui sait si la modestie du local qu’il occupe n’est pas pour le musée de Boulaq une précieuse sauvegarde ? Placé dans un palais, il aurait tôt ou tard excité l’envie de quelque ministre à demi barbare qui l’en aurait expulsé sans remords pour installer à sa place une administration quelconque. Ses belles collections exilées auraient erré à l’aventure cherchant, peut-être en vain, un nouvel et moins changeant abri. S’il leur manque bien des choses à Boulaq, si elles ne peuvent pas se développer à l’aise dans des salles trop étroites, trop peu nombreuses, construites pour un usage nullement scientifique, si surtout l’humidité constante qui s’exhale du Nil atteint peu à peu les momies, les pierres friables, les objets fragiles, rien en revanche n’est plus beau et plus poétique que le site qui les environne. Boulaq, on le sait, est à une petite distance du Caire. La route pour y arriver est charmante ; elle traverse des terrains vagues où l’on célèbre tous les ans la fête du dosseh ; la vue y est bornée sans cesse par la silhouette gracieuse de Boulaq profitant ses minarets et ses coupoles sur le bleu du ciel. Les grandes vergues et les voiles blanches des bateaux se dressent également au-dessus du sombre massif des maisons et des palmiers. Il n’est pas nécessaire de traverser la ville pour atteindre le musée ; on peut suivre tout simplement une route plate et poudreuse qui en longe de loin les premières constructions. Mais si l’on veut jouir du spectacle toujours varié de petites rues orientales inondées de soleil, à moitié couvertes par les moucharabiehs, laissant, à différens intervalles, apparaître le Nil à travers les fissures de maisons délabrées, il ne faut pas craindre d’allonger son chemin et de faire un peu l’école buissonnière. Dès qu’on arrive au musée, on est largement payé de sa peine. L’emplacement du musée est plus délicieux que tout le reste ; il occupe une vaste esplanade d’où l’on domine directement le Nil et où sont disposés, près de massifs de verdures, de grands sphinx, des colosses puissans, de magnifiques sarcophages. Une des salles du musée, la salle des Hycsos, donne sur une petite terrasse qui surplombe le fleuve. La vue dont on jouit de là est de celles qu’on n’oublie jamais lorsqu’on les a contemplées une fois. Le Nil décrit une immense courbe à vos pieds, ses eaux lourdes s’écoulent lentement avec un bruit sourd, des canges y circulent avec leur grande voile déployée ; la rive opposée est chargée de palmiers ; à quelque distance, des centaines de barques de pêcheurs sont amarrées. Le soir, au coucher du soleil, les couleurs les plus ardentes embrasent ce paysage simple et solennel. Que de fois, après m’être promené au milieu de ces étranges collections égyptologiques qui éveillent dans l’âme les plus mystérieux problèmes de l’histoire et de la philosophie, ne me suis-je pas assis longuement sur cette terrasse, laissant