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dynastie de Mehemet-Aly, disait M. Mariette, en prétendant que l’Égypte est encore trop jeune à la vie nouvelle qu’elle vient de recevoir pour posséder un public facilement impressionnable aux choses de l’archéologie et de l’art. Il y a quelque temps, l’Égypte détruisait ses monumens ; elle les respecte aujourd’hui ; il faut que demain elle les aime. Mais, pour en arriver là, il est nécessaire, à mon avis, d’éviter l’aridité à laquelle nous condamnerait l’appropriation trop systématique des objets dans les meubles destinés à les recevoir. Je sais par expérience que le même monument devant lequel notre public égyptien passe toujours distrait et indifférent attire ses yeux et provoque des remarques dès que, par un artifice de mise en place, on a su le forcer à y fixer son attention[1]. » M. Mariette n’avait donc rien épargné pour fixer l’attention du public égyptien en flattant à la fois ses yeux et son imagination. Il avait étalé avec le plus grand soin, et non sans une sorte de coquetterie, les innombrables bibelots égyptiens que les fouilles avaient mis à sa disposition. Les admirables bijoux de la reine Hah-Hotep, cette merveille de l’orfèvrerie égyptienne, avaient reçu une place d’honneur. Chaque vitrine avait été disposée autant pour le plaisir que pour l’étude. Ne fallait-il pas, en effet, commencer par le plaisir ? Ne fallait-il pas, suivant la vieille expression du poète, enduire de miel une coupe qui contient un breuvage, nullement amer, il est vrai, mais beaucoup trop savoureux pour être immédiatement apprécié par des lèvres peu délicates ?

La disposition des lieux avait également empêché M. Mariette de distribuer ses collections suivant la méthode adoptée au Louvre, en salle historique, salle civile, salle funéraire et salle religieuse ; elle ne lui avait pas permis non plus de les ranger chronologiquement. Il arrive, en effet, quelquefois que la même époque n’est représentée que par un grand monument et par un scarabée minuscule : comment disposer l’un à côté de l’autre des objets aussi divers dans des salles qui ont été construites pour contenir des sacs de blé ou des ballots de coton tous de même dimension ? M. Mariette n’a pas pu adopter pour ses nouveaux arrangemens une classification plus scientifique : n’ayant acquis ni plus d’emplacement ni un emplacement mieux adapté aux conditions d’existence d’un musée, il a bien fallu qu’il cédât encore aux nécessités matérielles. Il ne lui a pas été possible non plus d’abandonner ces étalages brillamment inutiles qui ne profitent à la science qu’en montrant qu’elle n’est point sans attraits. Il s’est contenté de les restreindre au strict nécessaire. La plus grande salle du musée de Boulaq est remplie

  1. Notice sur les principaux monumens exposés dans les galeries provisoires du musée d’antiquités égyptiennes. — Avant-propos.