Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouverné et exploité l’Égypte durant tant de siècles ? qui sait combien d’entre eux étaient étrangers, combien au contraire appartenaient, par leur origine, au pays lui-même ? Il semble que l’Égypte n’ait jamais été parfaitement autonome, qu’elle ait été sans cesse pénétrée par ses voisins, que sa vie nationale, dans le passé le plus lointain comme dans le présent immédiat, ait été continuellement troublée par des influences extérieures. Trop belle, trop riche, trop séduisante pour ne pas exciter l’envie de tous ceux qui l’entouraient, trop faible pour se défendre contre leurs attaques, elle n’a jamais été entièrement libre. Mais en subissant le joug venu du dehors, elle n’en conservait pas moins son caractère propre, son invincible persistance, tandis que ceux qui la dominaient, bientôt absorbés et déformés par elle, s’étiolaient à son contact, semblable à ces grandes séductrices qui cèdent à tout le monde, mais qui s’en vengent en amollissant et en abêtissant ceux auxquels elles ont cédé. Un beau buste du musée de Boulaq nous donne l’impression directe, sensible, d’une des nombreuses révolutions intérieures qui ont été produites en Égypte par une action venue du dehors : c’est celui de la reine Taïa, femme d’Aménophis III. Je me hâte de dire, par crainte des chicanes, qu’on n’est pas scientifiquement bien sûr que ce buste soit réellement celui de la reine Taïa et qu’on ne sait presque rien d’ailleurs de cette reine. Un curieux scarabée nous apprend que son père se nommait Iouaa et sa mère Touaa, noms qui ne sont point égyptiens et qui font supposer que Taïa n’était ni de sang royal ni de sang égyptien. Les frontières de l’Égypte, d’après le même scarabée, s’étendaient au nord, lors du mariage de Taïa, jusqu’en Mésopotamie. Pourquoi donc Taïa n’aurait-elle pas été une étrangère ? La Vallée des reines à Thèbes nous montre une Taïa qui pourrait bien être la même et dont les mains sont peintes en rose, nouvel indice de son origine asiatique. « Les circonstances, dit M. Mariette, dans le catalogue du musée, nous feraient penser que Aménophis IV, qui proscrivit partout le nom d’Aménophis III et au contraire entoura d’honneurs inusités celui de sa mère, se souvint peut-être trop, en portant atteinte à l’antique religion égyptienne, du sang étranger qui coulait dans ses veines. Ce premier réveil de l’esprit sémitique, après l’expulsion des Hycsos, aurait peut-être eu pour cause l’arrivée au trône d’une femme choisie par Aménophis III parmi les tribus nombreuses d’origine asiatique qui, à cette époque, peuplaient les provinces orientales du Delta. » Est-ce là une pure induction, une hypothèse dénuée de toute preuve ? Nous ne savons pas grand’chose de la révolution religieuse accomplie par Aménophis IV, nous savons seulement qu’elle a dû être effroyable, car tous les monumens en portent la trace par de nombreuses et brutales mutilations. Le nom d’Amnon fut effacé partout,