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ne pouvaient nous conduire et nous diriger ? Et le musée de Boulaq n’est qu’une faible partie de la grande entreprise de M. Mariette ; Il faudrait aller dans la Haute-Égypte pour visiter en détail les temples qu’il a déblayés, les inscriptions sans nombre qu’il a relevées, les documens historiques qu’il a rendus à la lumière et à la vie[1]. Sans s’éloigner du Caire, sans pousser même jusqu’à Memphis et au Sérapeum, sans dépasser les Pyramides, c’est à lui qu’on doit de connaître ce temple étrange dont nous avons parlé, qui offre à l’observateur un problème plus énigmatique encore que celui du sphinx à côté duquel il est placé. Sans doute M. Mariette n’a pas expliqué lui-même tous les monumens qu’il a fait surgir du sable où ils étaient enfouis, il n’a pas traduit tous les hiéroglyphes, interprété toutes les stèles, tous les sarcophages, lu tous les papyrus qu’il a eu la bonne fortune de trouver. Un grand nombre de travailleurs, parmi lesquels on remarque les noms les plus illustres de la science égyptologique, l’ont aidé à élucider ses découvertes. Mais c’est lui qui leur a fourni la matière qu’ils ont transformée, c’est lui, qu’on me passe le mot, qui a mis le charbon dans la machine qu’ils ont fait marcher, et s’il n’avait pas commencé par placer dans leurs mains les documens sur lesquels se sont exercés leur patience et leur sagacité, les progrès immenses de l’égyptologie en ces dernières années auraient été impossibles.

L’archéologie historique est une science qui demande, non-seulement des hommes supérieurs par l’intelligence, mais encore des hommes doués d’une rare énergie de caractère, d’une fermeté de volonté à toutes épreuves. On connaît trop celles auxquelles M. Mariette a été soumis dans sa rude existence d’explorateur scientifique pour que nous essayions de les retracer de nouveau. Je voudrais seulement tirer de l’exemple de cette féconde existence une leçon qui mérite d’être soigneusement méditée. Grâce aux efforts de M. Mariette et des travailleurs éminens qui se sont occupés depuis une vingtaine d’années d’égyptologie, l’égyptologie est devenue une science historique méthodiquement constituée ; j’ajouterai la première des sciences historiques, puisque c’est celle qui s’enfonce le plus profondément dans la nuit du passé et qui nous fait remonter le plus près des origines morales de notre espèce. Ni les études indiennes, ni les études assyriennes, ni le sanscrit, ni les cunéiformes ne nous reportent aussi loin vers les prémisses de la civilisation humaine. Mais si l’égyptologie est une science constituée dans sa méthode, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit épuisée dans

  1. C’est ce qu’a fait M. Ernest Desjardins, qui a parcouru dans leur ensemble tous les travaux accomplis par M. Mariette jusqu’en 1874.