services que la diplomatie rend à la tranquillité des peuples et à la paix générale. On se plaignait après la guerre franco-allemande qu’il n’y avait plus d’Europe ; l’Europe s’est retrouvée, on a rétabli le concert des grandes puissances, mais ce concert a été impuissant à prévenir et à conjurer les horreurs d’une nouvelle guerre d’Orient. Cette guerre enfin terminée, on recommençait à respirer, on se flattait que la paix était assurée pour quelques années au moins. Malheureusement, une conférence internationale s’est réunie à Berlin pour faire exécuter les dernières clauses du traité de Berlin, et cette conférence a rouvert la boîte de Pandore en imposant à la Turquie des conditions si rigoureuses qu’aucun sultan, pour ne pas dire aucun souverain, ne consentirait à s’y soumettre. On met Abdul-Hamid en demeure d’octroyer au royaume hellénique, à titre de don gratuit, la Thessalie avec Larissa et les deux versans de la vallée du Pénée, l’Épire, en y comprenant Janina, c’est-à-dire qu’on lui demande des cessions de territoire encore plus considérables que celles dont on était d’abord convenu. Abdul-Hamid résiste, les inquiétudes se réveillent, tout semble remis en question, la péninsule du Balkan est menacée de nouvelles tempêtes, et voilà pourquoi Marseille et Mâcon sont les seules villes de l’Europe où l’on conserve une foi imperturbable à la vertu toute-puissante des aréopages.
Les intentions de l’aréopage de Berlin étaient sans doute excellentes, et tout le monde s’associe en quelque mesure aux sentimens dont il s’est inspiré, car tout le monde est porté à croire à l’avenir de la Grèce beaucoup plus qu’à celui de la Turquie. Les vices héréditaires, les maladies incurables dont le gouvernement turc est travaillé, on les connaît depuis longtemps, on en a parlé mille fois. Dernièrement encore, un voyageur allemand de grand mérite, M. de Löher, faisait un tableau aussi mélancolique que sincère de la situation lamentable que créent à l’empire ottoman les abus de la vénalité et les excès de la concussion[1]. — « Sur les bords du Bosphore, écrivait-il, tous les pachaliks sont cotés comme à la bourse. Les prix fixés par le tarif varient selon l’importance et le nombre des demandes. Il y a à Stamboul beaucoup de grandes familles dont le chef considère qu’il a été mis au monde pour s’enrichir par le gouvernement. Ces hommes destinés au gouvernement sont condamnés à de perpétuels embarras ; l’argent leur coule à travers les doigts et les fantaisies de leurs femmes leur coûtent gros. Après avoir vécu d’expédiens pendant deux ou trois années, ils voient un jour apparaître le banquier arménien, qui leur déclare qu’il entend recouvrer ses créances et rentrer dans ses débours.
- ↑ Cypern, Reiseberichte über Natur und Landschaft, Volk und Geschichte, von Franz von Löher. 3me édition, Stuttgart, 1880.