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où souvent des intérêts assez opposés d’alliés se soutiennent pendant un temps, mais que ces situations ne sont que momentanées, et que les véritables intérêts des princes, qui servent de règle à leur conduite, les entraînent tôt ou tard et les ramènent à leurs véritables principes… Vous ajouterez à tout ceci, écrivait-il encore, que les grands princes ne font rien pour les beaux yeux l’un de l’autre. » Les ministres et les diplomates des puissances signataires n’ont pas tardé à s’aviser que leurs intérêts respectifs s’accordaient mal, qu’ils n’étaient point disposés à rien faire pour les beaux yeux l’un de l’autre, que toute mesure exécutoire rouvrirait la question d’Orient et qu’on ne pouvait la rouvrir sans risquer de mettre le feu à l’Europe.

La question d’Orient est plus que jamais pour l’Europe un trouble-fête, un cauchemar, un danger permanent. Depuis que le congrès de Berlin a sonné l’hallali de la grande curée, depuis que l’empire austro-hongrois s’est fait sa part en occupant la Bosnie et l’Herzégovine, il ne peut plus se tirer dans la péninsule du Balkan un seul coup de fusil (nous ne parlons pas de l’escopette des brigands) qui ne risque de mettre aux prises Vienne et Saint-Pétersbourg. L’Autriche, depuis ses nouvelles annexions, s’est créé en Orient, comme on l’a remarqué, une situation fort analogue à celle qu’elle a eue si longtemps en Italie[1]. Quand elle possédait la plaine lombarde, elle combattait de toutes ses forces les tendances à l’unité nationale qui travaillaient les Italiens et qui la menaçaient dans ses possessions, et pour les combattre, elle s’appuyait sur les princes, dont elle exploitait les jalousies réciproques. En Orient, elle doit recommencer le même jeu en se défendant contre le panslavisme. Malheureusement le panslavisme, qui s’appelle aujourd’hui le panbulgarisme, est soutenu du dehors par la Russie. La Bulgarie est désormais l’enfant chéri du cabinet de Saint-Pétersbourg ; il la comble de ses bienfaits, il lui fournit non-seulement des informations, des avis et des conseils, mais des agens-voyers, des ingénieurs, des munitions, des soldats, des officiers, des généraux, jusqu’à des ministres, et il rêve de l’agrandir en annexant Philippopoli à Sophia, la Roumélie orientale aux états du prince Alexandre.

La politique autrichienne est condamnée à remonter les courans, la Russie les descend, ce qui est plus commode. L’Autriche, bien qu’elle soif un pays constitutionnel, cherche à se concilier le cœur des princes ; la Russie, qui n’a pas de parlement, mais qui s’entend à se servir des parlemens des autres, la Russie, qui en matière de politique étrangère est le plus admirable des démagogues, s’occupe de s’attacher les chefs de partis et de constituer partout avec leur aide des

  1. Voir dans l’Allgemeine Zeitung du 19 août 1880 un article intitulé : die Fürstenbesuche in Ischl.