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ESSAIS ET NOTICES.

La Démographie figurée de l’Algérie. Étude statistique des populations européennes qui habitent l’Algérie, avec douze tableaux graphiques, par M. le docteur René Ricoux. Paris, 1880 ; Masson.


Une comptabilité bien tenue est la première condition de la prospérité d’une grande maison, car elle permet d’apprécier à temps le succès de chaque entreprise et d’éviter les dépenses dont on ne peut attendre aucun profit. Or la société, selon le mot très juste de M. Bertillon, peut se comparer à un vaste chantier de travail, de production ou de commerce, dont la « démographie » est la comptabilité : les entrées et les sorties sont représentées par les naissances et les décès, les recensemens fournissent les inventaires qui constatent la situation à jour donné. Et qui ne voit que ce contrôle de la prospérité collective a une importance toute particulière lorsqu’il s’agit de colonies, c’est-à-dire de véritables expériences, tentées toujours un peu au hasard, et dont la vie humaine fournit la matière, on dirait presque l’enjeu ?

Il n’est donc pas besoin d’insister sur l’utilité que présente l’étude statistique des conditions d’existence de nos colons algériens ; mais il faut dire tout de suite que les documens sont rares et insuffisans, difficiles à consulter à cause du manque d’unité et de méthode. C’est avec ces documens défectueux, corrigés et contrôlés autant que cela pouvait se faire, que M. le docteur Bertillon entreprit, en 1864, une étude des mouvemens de la population européenne de l’Algérie. Le fait le plus frappant qui se dégageait des nombres recueillis et confrontés par le savant démographe, c’est que les Espagnols, et après eux par les Italiens, paraissaient s’acclimater en Algérie avec le plus de facilité ; l’acclimatement des Français restait encore douteux, car pendant longtemps le chiffre de nos décès dépassait celui des naissances, et les vides n’étaient comblés que par des nouveaux arrivans ou par la naturalisation des colons espagnols ou italiens. Toutefois la mortalité des Français avait visiblement diminué dans les dernières années étudiées. Il y avait là un pronostic rassurant et qui donnait tort à la lugubre boutade du général Du vivier : « Les cimetières sont les seules colonies toujours croissantes de l’Algérie. » Cette lueur d’espoir qui nous restait après les recherches de M. Bertillon, s’est peu à peu transformée en confiance robuste, grâce au zèle persévérant avec lequel M. le docteur Ricoux,