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plupart des provinces de l’Allemagne, les vieilles traditions, les vieux contes populaires et l’on y reconnaît tout l’héritage du paganisme scandinave. Il semble que les contrées germaniques aient témoigné plus d’attachement encore que les contrées latines pour leurs vieilles superstitions païennes. Aussi la mythologie populaire est-elle en ces pays beaucoup plus curieuse et plus originale qu’elle ne l’est chez nous. Elle a fourni à l’illustre Jacques Grimm une partie des élémens du savant ouvrage qu’il a composé sur la mythologie allemande, Deutsche Mythologie, après avoir publié avec son frère Guillaume les plus curieuses traditions populaires de sa patrie (Sagen und Mährchen). Encore aujourd’hui, malgré l’influence du protestantisme, il règne chez les Allemands, même chez ceux qui ont une instruction distinguée, un fond de superstition datant du moyen âge et qui a complètement disparu chez nous. Avec de telles dispositions en quelque sorte natives, les Vikings ne pouvaient manquer de lutter énergiquement contre l’introduction de l’Évangile qui portait à leur société un coup mortel et que leur patriotisme devait détester. C’est cette haine qui poussa surtout les Normands dans leurs expéditions sur le continent à saccager les églises, à profaner les reliques, à massacrer les moines et les prêtres, à violer même les tombeaux et, selon M. Worsaae, on a conclu à tort de ces actes de violence que les populations du Nord étaient alors des barbares. Il a peut-être raison, car les haines religieuses ramènent facilement à la barbarie ; elles réveillent au fond du cœur humain la férocité que trop souvent la civilisation a plutôt endormie que déracinée. Mais le savant danois n’a-t-il pas été trop loin dans la réhabilitation de ses ancêtres ? Qu’y aurait-il d’étonnant que la vie menée par les Vikings, toujours en lutte avec les dangers d’une mer furieuse ou tourmentée, ait entretenu chez eux des habitudes sauvages dont on retrouve tant de vestiges au moyen âge chez les populations du nord de l’Europe ? On dirait que l’âpreté du climat tendait à maintenir dans les mœurs une brutalité dont les populations méridionales se dépouillèrent rapidement, grâce à l’influence d’une vie plus douce. Les habitudes, on le sait, se sont policées en Angleterre, en Écosse et en Allemagne beaucoup plus tard que chez nous ; et cette grossièreté, cette barbarie primitives, ce goût du sang répandu, d’orgies de boissons et d’exercices brutaux que rappellent les Sagas, que trahissent même quelques motifs de décorations préférés par les artistes du Nord, notamment les guirlandes de têtes humaines, les Anglo-Saxons et les Slaves en ont offert un tableau tout aussi repoussant. Mais, loin d’avoir été constamment inférieurs à ces deux grandes races qui devaient se répandre si fort au loin, l’une à l’orient l’autre à l’occident, et